Jake Brown est un jeune Noir originaire d'Harlem. Après avoir roulé sa bosse un temps en France et au Royaume-Uni, il est temps pour lui de revenir à New York où son quartier lui manque, car il y a là-bas une atmosphère incomparable. On le suit donc de retour sur place à la fin des Roaring Twenties...
Clairement, il y a des livres qui sont ancrés dans la période où ils ont été publiés. L'on ne peut vraiment faire l'impasse sur celui-là quand on s'intéresse à la littérature jamaïcaine, car son auteur
Claude McKay, bien qu'ayant quitté tôt son île natale, reste une figure de la littérature jamaïcaine, surtout pour ses recueils de poésie dont les titres font souvent référence à la Jamaïque. Ce roman a fait beaucoup parler de lui en 1928 à sa sortie car c'était l'un des rares qui mettait en avant la vie des Noirs aux Etats-Unis et leur donnait une voix franche et non-trafiquée, quand les personnages noirs jusqu'alors étaient souvent ceux de méchants, criminels, esclaves illétrés et compagnie. Il s'inscrivait ainsi dans le mouvement de renouveau artistique afro-américain nommé Harlem Renaissance, et a reçu un prix prestigieux.
On comprend donc pourquoi ce livre est un classique dans son genre, ayant inspiré de nombreux autres artistes. McKay ne fait pas l'impasse sur maints aspects crus de la vie d'un Noir dans les années 20, le tout enraciné dans la culture de la fête et du plaisir de l'époque. D'ailleurs, le roman ne s'attache pas trop à créer une intrigue directive (il faut vraiment le lire comme des tranches de vies). On suit Jake au gré de ses emplois, conquêtes et conversations, notamment avec Ray, un Haïtien qui fait des études et aime se cultiver. Ce qui finalement est intéressant, ce sont les petites précisions par-ci par-là de la vie au quotidien ou la condition de ces personnes qui vivent sous la loi des Blancs. Certaines conversations entre Jake et Ray sont assez édifiantes ; Ray est d'ailleurs le personnage le plus emblématique de ce roman, car il oppose souvent la pensée globale à une critique de la société du moment. Il est intéressant aussi de noter à quel point le langage qu'utilisent les Noirs pour se décrire copie le vocabulaire stigmatisant des Blancs, montrant à quel point on peut finir par croire qu'on est un insecte, par exemple, si on est constamment appelé un insecte et à fortiori trouver ça normal qu'on soit appelé un insecte.
En revanche, j'ai eu beaucoup de mal sur plusieurs points. Premièrement, les personnages aux vies instables et aux moeurs légères, qu'ils soient Rose Fluo, Vert Pomme ou Bleu Océan, ne m'ont jamais vraiment attirée. Deuxièmement, et c'est la partie la plus grosse, j'ai eu beaucoup de mal avec le vocabulaire de couleur de peau utilisé par l'auteur. J'ai bien conscience que l'histoire a été écrite à une époque où le n-word était courant et "acceptable", mais ça fait quand même tout chose de voir chaque personnage décrit par une succession de mots de couleurs, tous relativement insultants aujourd'hui. le colorisme constant est gênant, même si à de rares occasions il ne semble pas être utilisé par mépris.
Tout cela sans compter une écriture phonétique sur tous les dialogues de Noirs parlant avec l'accent de Harlem. C'est déroutant, même si on arrive à comprendre 90% de ce qui est dit. C'est juste que ça a un côté offensant de nos jours. C'est bizarre car c'est le deuxième livre jamaïcain que je lis qui écrit la parole des gens sous forme phonétique. Une tendance à vérifier.
Enfin, je ne vais pas m'éterniser sur la condition de la femme et sa représentation de l'époque, le summum ayant été atteint quand l'une des femmes ne trouve pas Jake suffisamment masculin et attirant parce qu'il ne la frappe pas assez. No comment, quoi...
Ainsi donc, ce livre offre quelques aspects historiques et humains intéressants pour comprendre la condition des Noirs américains du début du siècle dernier, mais sa forme et son époque d'écriture ont beaucoup de mal à le faire apprécier au même point que par le passé.
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