Pas de problème, mon gars. J’aimerais bien voir les choses de ton point de vue, mais j’arrive pas à me mettre la tête dans le cul.
- Fils unique ? repete-t-elle avec incrédulité, persuadée de toute évidence que les catholiques des campagnes ont douze enfants. La seule explication est donc qu'il est arrivé quelque chose de terrible à ma mère.
Un monde effondré. Belfast, ville perdue. Avec ses usines en ruine, ses pubs incendiés, ses clubs à l'abandon. Ses boutiques barrées de grilles antibombes. Ses postes de contrôle, ses postes de fouille. Ses commissariats de police aux murs blindés.
Voitures cabossées. Voitures désossées montées sur briques.
Chiens errants. Graffitis sectaires. Fresques de paras cagoulés.
Maisons murées, détruites par les bombes incendiaires. Maisons sans yeux.
Fenêtres brisées miroirs brisés.
Des enfants qui jouent sur des tas d'ordures et dans les cratères des bombes, qui rêvent d'être n'importe où, mais ailleurs.
L'odeur de la tourbe et du gasoil, et des cinquante mille cordons ombilicaux de fumée noire unissant la cité grise au ciel gris.
- T'achètes pas le journal?
- Trouve des bonnes nouvelles, mec, et je te l'achète.( p 79)
Milebush Tower. Encore un de ces groupes d'immeubles bétonnés à quatre étages et peints dans des tons de bouse, qui ont poussé dans les lotissements défavorisés d'Ulster dans les années 1960 à 1980. Froids, humides et comme délibérément laids. Le jour où l'office du logement d'Irlande du Nord vous donnait les clés, ils vous remettaient sans doute en même temps une brochure d'information sur le suicide.
- Tu penses à un indic, je suppose, dit-il.
- Pourquoi, tu penses à quoi, toi ?
- Comme toi. Main droite sectionnée, mode opératoire standard.
C'était le 2 mai 1974. J'étais en deuxième année de doctorat. Une belle journée de printemps. Je passais devant le Rose and Crown, dans Ormeau Road, à vingt mètres de la fac. C'était la pire période des Troubles, mais je n'avais jamais été touché personnellement. Jusque là. Encore neutre, j'essayais de me tenir à distance, de vivre ma vie.
Le lotissement Victoria ouvre les yeux au petit matin. Chants d’oiseaux. Un laitier qui siffle. Fracas des bouteilles de lait que lancent les enfants contre les murs. Je descends. Par la fenêtre du salon, j’aperçois des gosses qui jouent au foot, d’autres à la marelle ou à cache-cache, tandis que les femmes, bigoudis sur la tête, bavardent par-dessus les portails.
[...] Que faisait exactement Tommy à l’IRA, quel était son poste ? Billy éclate de rire et tape du plat de la main sur la table.
– Le gars est mort depuis quatre jours et vous ne savez toujours pas qui il est ! Bon Dieu, vous êtes l’inspecteur Gadget ou quoi ?
– Que faisait Tommy à l’IRA ?
– Vous ne le savez vraiment pas ? insiste Shane, provoquant un fou rire chez son patron.
– Non.
[…] – L’Irlande du Nord n’a jamais connu de tueur en série, m’oppose-t-il.
– C’est vrai. Quiconque ayant ce genre de dispositions aurait pu rejoindre un camp ou l’autre. Torturer et tuer à loisir tout en défendant la “cause”.