On comprend assez vite pour quelle raison profonde Melville a intitulé son dernier texte, fascinant, récit interne. Certes, la critique savante brodera sur le statut, complexe, du narrateur omniscient (à une exception près : le moment où le capitaine Vere communique à Billy Budd sa sentence de mort) qui semble se promener, avec nous, sur et dans (d'où le terme «interne», p. 45) un navire, le Bellipotent, où se déroule l'histoire mais les petits jeux de focalisation ne nous intéressent guère s'ils nous empêchent de voir l'essentiel, l'essentiel qui est occulté et qui pourtant, selon le mouvement propre à l'hermétisme démoniaque génialement décrit par Kierkegaard, ne demande qu'à jaillir à la vue de tous grâce à un mot, un acte, un cri, un geste, afin que les murs épais de la prison infernale soient enfin, au moins une fois, percés d'un jour, pour qu'un minuscule rai de lumière défasse les ténèbres dans lesquelles gémit le condamné, celui qui est emprisonné dans l'in pace du démoniaque, ici le capitaine d'armes Claggart.
Je renvoie mes lecteurs à ce long article paru dans lesÉtudes bernanosiennes et mis en ligne sur Knol, où j'ai tenté d'appliquer à
Monsieur Ouine de
Georges Bernanos le concept si brillamment exposé par le philosophe danois.
Dans le texte de Melville, c'est Claggart qui, bien davantage que Billy Budd, ce représentant du Beau Marin sur lequel, en raison de son innocence aveuglante (1), il n'y a rien à dire, doit retenir notre attention, puisque ce dernier est le malheureux enfermé dans le cachot hermétique du démoniaque.
Rien à dire ? Certes, Billy Budd peut nous sembler, à première vue, un roc inaltérable qu'aucun filet d'eau, fût-il microscopique, ne semble pouvoir pénétrer et encore moins désagréger et pourtant... Pourtant, il y a la voix du beau Budd, dont «certain accent musical» semble être «la véritable émanation de l'homme intérieur venue sans obstacle du fond de son être» (pp. 32-3). Billy Budd, illettré mais qui, grâce à sa voix donc, «comme cet autre illettré le rossignol», compose parfois «lui-même sa propre chanson» (p. 42).
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