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Citations sur Trois vies de saints (10)

Mon oncle, tout en parlant de tout et n'importe quoi, n'en était pas moins un bon auditeur, car le périmètre de sa curiosité était infini et, à la différence de la plupart des idiots, conscient de son ignorance et de ses limitations, il était humble, écoutait avec attention et se montrait même souvent étonné. A cette époque, je lisais beaucoup et j'avais de grandes inquiétudes intellectuelles, aussi notre dialogue était-il animé et, pour moi qui manquais d'une figure paternelle à qui prouver mes progrès, une soupape d'échappement que les préjugés inculqués par ma famille à l'encontre du peu d'envergure de mon oncle m'empêchaient d'apprécier. Plus tard, en me rappelant ses attentes à l'arrêt désert sans autre compagnie que le bruissement du vent sur la zone inhabitée, j'ai pensé que peut-être l'oncle Victor n'allait pas toutes les après-midi à la clinique pour voir son frère mais pour me voir, moi, et m'apporter le soutien dont il savait que j'avais tant besoin avec les seuls moyens dont il disposait, c'est-à-dire sa personne, son temps et son affection.
(La baleine)
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Ma tante, un peu gênée, lui demanda si elle pouvait lui servir quelque chose. L'évêque s'éclaircit la gorge et dit qu'il boirait bien un verre d'eau, car il mourait de soif. Ma tante sortit tout de suite et revint avec un plateau sur lequel étaient disposés un verre, une carafe d'eau fraîche et une serviette en batiste. Monseigneur Putucas vida le verre d'un trait, le reposa sur le plateau et s'essuya les lèvres; ma tante, très empressée, lui demanda s'il ne désirait rien d'autre. L'évêque se redressa et leva sa main gantée.
- Madame, dit-il, je ne veux rien de vous. Quand j'étais dans le besoin, vous m'avez jeté à la rue. Vous feignez d'être chrétienne, mais vous ne l'êtes pas, car le christianisme est amour et charité et vous ne pratiquez ni l'un ni l'autre. Vous m'avez accueilli par vanité et chassé par égoïsme. Je ne vous condamne pas. Moi aussi j'ai agi dans la vie sous l'emprise de l'orgueil. Si j'étais entré à l'école militaire, j'aurais voulu devenir général et qui sait si je n'aurais pas profité d'un soulèvement pour gouverner la nation. Mais comme je suis allé au séminaire, j'ai voulu être évêque sans regarder aux moyens. J'ai même rêvé d'être pape. Par chance, Dieu tout puissant a fait en sorte que je n'y parvienne pas. Au contraire : il m'a soumis à de dures épreuves et c'est ainsi que j'en suis arrivé à voir où est la vérité et où est le mensonge.
La tante Conchita était restée muette, pâle, au bord de l'effondrement. Avant qu'elle puisse récupérer ses esprits, l'évêque était sorti du salon, avait franchi le couloir et était parti.
(La baleine)
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Martin J. Fromentin prononça un discours de circonstance, truffé de lieux communs bien intentionnés. Avant de terminer, il baissa la voix et sur un ton presque inaudible, en butant sur les mots comme s'il n'avait ni écrit ni pensé cette partie de discours, il dit : "Dans le passé, j'ai été un criminel. C'est un fait bien connu et, au point où j'en suis arrivé, ça n'aurait pas de sens de le nier. Je veux seulement dissiper l'aura de romantisme que cela pourrait avoir pour ceux, qui comme vous, ont toujours été du bon côté de la loi. Un criminel n'est pas un héros, c'est un être répugnant qui abuse de la faiblesse d'autrui. J'étais destiné à suivre ce chemin jusqu'au plus triste des dénouements, si la rencontre fortuite avec la littérature ne m'avait ouvert une brèche par laquelle j'ai pu m'évader vers un monde meilleur. Je n'ai rien d'autre à ajouter. La littérature peut sauver des existences sinistres et racheter des actes terribles; inversement, des actes terribles et des existences avilies peuvent sauver la littérature en lui insufflant une vie sans laquelle elle ne serait que lettre morte."
(Le malentendu)
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Maintenant, profitant des longues heures de vol, Dubslav réfléchissait (les aléas du chemin de retour ne lui avaient pas laissé le temps de penser), sans prêter attention aux regards de dégoût et de réprobation des autres passagers, de plus en plus ostensibles à chaque nouveau d'avion au cours du trajet dans le sens inverse, en contemplant sa mise dépenaillée et son indéniable saleté.
(La fin de Dubslav)
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Dubslav reçut en même temps la nouvelle de mort subite de sa mère et celle, également inopinée, et plus choquante s'il se peut, de l'attribution à celle-ci du prix européen de la Réalisation scientifique pour ses découvertes dans le domaine de l'ophtalmologie; les deux nouvelles contenues dans un seul bref télégramme du ministère des Affaires étrangères, lui furent remises, après avoir transité par l'ambassade d'Espagne à N'Djamena, par un médecin norvégien aux cheveux blancs, peut-être originellement albinos, le teint recuit par les rigueurs du climat et les intempéries, brusque et morose.
(La fin de Dubslav)
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Ma tante fit ce que suggérait l'évêque et dit :
- Pour les domestiques, soyez sans inquiétude. Ils connaissent l'existence du coffre caché derrière le tableau, mais, même si l'envie les en prenait, ils ne pourraient pas l'ouvrir. Et puis ils sont de toute confiance. Quant à la question morale que je vous ai posée, qu'en pensez-vous, Monseigneur? Est-ce que je dois vendre ces bijoux?
Ainsi pris à partie, l'évêque troublé, fit quelques pas sur le tapis du salon. Puis il ouvrit les bras en croix et s'exclama :
- On ne m'avait jamais posé pareille question, madame, et je ne sais comment répondre. Mais je vous dirai une chose que je tire de ma pauvre expérience. Ces joyaux ont pour vous une grande valeur sentimentale, ce qui leur donne une importance qui ne tient pas seulement à leur prix. Par exemple, ces pendants d'oreilles qui passent de génération en génération, eh bien, vous ne pouvez pas les vendre, parce qu'ils sont maintenant à vous, mais uniquement comme si vous les aviez en dépôt pour en prendre soin et les transmettre demain à votre fille et, de la sorte, poursuivre la chaîne. Et d'autres objets font partie de votre vie spirituelle : rien de moins que la naissance d'un enfant, par exemple. Et puis il y a la valeur économique des objets eux-mêmes. Voyez-vous ma fille, dans la région d'où je viens, on trouve parfois des pierres précieuses. Des rubis, des améthystes, des opales. Très peu, c'est vrai. Mais si un paysan, dans son labeur exténuant, découvre une de ces pierres, il lève les yeux vers le ciel et rend grâce à la Sainte Patronne de Quahuicha, car avec ce cadeau de la Mère de Dieu il pourra payer ses dettes et vivre un temps, lui et sa famille, à l'abri de la faim. Et puis il y a aussi ceux qui taillent ces pierres, et ceux qui les sertissent en les travaillant si joliment. Ces parures représentent beaucoup pour bien des gens; on ne peut s'en défaire comme ça, pour un simple scrupule de conscience. Moi, madame, je n'ai encore rien vu de l'Espagne, pas même Barcelone, occupé comme je l'ai été depuis mon arrivée. Ici aussi, il y a sûrement de la pauvreté. Mais je tiens pour certain que le plus pauvre de ce pays est riche comparé à un pauvre de ma terre. Croyez-moi, madame, gardez ce que Dieu vous a donné, et ne pensez plus à ces bêtises.
(La baleine)
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- Mais enfin, est-ce qu'on peut savoir quand monseigneur Cachimba va arriver? dit l'oncle Victor.
La tante Conchita le foudroya du regard et lui répondit que même s'il n'avait aucun respect pour la religion il pourrait au moins lui faire la faveur de montrer un peu de considération pour la sensibilité des croyants; mais dès qu'elle eut prononcé ces mots, elle se mordit la lèvre inférieure, se leva du coin du canapé où elle avait l'habitude de s'asseoir dans les réunions familiales et arpenta un moment le salon pour dissimuler sa nervosité, car, depuis quelque temps et après avoir vu toute sa vie l'oncle Victor comme un demeuré et un inutile, elle le craignait plus que tout au monde.
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(elle) vanta les mérites de la lecture, l'occupation, dit-elle, la plus gratifiante, la plus absorbante et le plus inépuisable, dont on pouvait profiter à tout moment, à tout âge, en tout lieu et dans n'importe quelle condition physique, y compris la maladie et la cécité (car il existait une écriture tactile), et qui était aussi une source infinie de connaisances,...
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"Mais lire c'est une chose et écrire une autre. Pour ça, je n'ai pas de talent. Heureusement, je m'en suis aperçu à temps."
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"Son royaume était celui de la clôture, de la pénombre et du silence"
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