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Critique de Sachka


Il a tiré sa révérence le 12 mai 2020 au bel âge de 94 ans, pour moi il a été et restera l'un des plus dignes représentants du septième art. Preuve en est : les plus grands réalisateurs ont fait appel à lui : Buñuel, Renoir, Ferreri, Godard, Carax, Costa-Gavras, Sautet, Chabrol, Malle et j'en oublie car Michel Piccoli avait ce rare talent qui était celui de pouvoir incarner tous les rôles. Amoureux, fragile dans "Les Choses de la vie" (l'un de ses rôles les plus bouleversants) ; flic pervers et manipulateur dans "Max et les Ferrailleurs" ; mari désabusé et humilié dans "Le Mépris" ; homosexuel extravagant et suicidaire, affublé d'un justaucorps rose dans "La Grande Bouffe". Une carrière riche et éclectique tant au cinéma qu'au théâtre pour un acteur qui faisait fi des diktats et n'hésitait jamais à prendre des risques.

Piccoli c'était la force tranquille et une certaine élégance mais c'était aussi la fougue, l'audace, la passion bouillonnante, les colères parfois et ce regard doux-amer rehaussé de sourcils broussailleux qui vous fixait à travers l'écran en vous donnant l'impression que ce regard n'était adressé qu'à vous car si Michel n'a jamais été un jeune premier à l'instar d'un Belmondo ou d'un Delon, il n'en restait pas moins un séducteur, il avait le charisme de l'homme mature, à vingt ans il avait déjà l'air d'un homme qui s'impose avec un naturel désarmant.

Au travers d'anecdotes et de témoignages recueillis auprès de ses proches, Anne-Sophie Mercier nous livre une biographie tout en sobriété, loin des éloges tapageurs, dans le respect de l'homme qu'il était : pudique concernant sa vie privée, intègre et droit concernant ses choix dans sa vie comme dans sa carrière. Elle choisit ici de consacrer la moitié de son ouvrage à l'enfant et au jeune homme en devenir. L'enfant longtemps resté silencieux et effacé, qui n'arrivait pas à trouver sa place auprès d'un père violoniste trop souvent absent et d'une mère qui elle accordait trop d'importance aux absents et à un absent en particulier : son frère Jacques qu'il n'aura pas connu, décédé à l'âge de deux ans dont il ne parviendra à s'exorciser qu'en quittant le nid familial en septembre 1938, intégrant le programme de Michel Préaut (pédopsychiatre) dans son collège très privé de Annel près de Compiègne. Là-bas, fort d'une éducation peu conventionnelle, le jeune Piccoli découvre la liberté, liberté d'exister loin de ce frère qui lui fait tant d'ombre, liberté de penser et surtout liberté de s'initier au théâtre, passion qui ne le quittera désormais plus jamais.

Le gamin mutique pousse et s'émancipe, il devient un adolescent facile à vivre que l'on croise souvent flânant sur son vélo, découvrant la guerre avec des yeux ébahis, années de guerre qu'il passera par ailleurs à Chaunac auprès de ceux dont il a toujours secrètement désiré être le fils : son oncle et sa tante, Georges et Jeanne Perrier, préférant pour un temps garder ses distances avec ses parents. La guerre prenant fin, il reprend ses études au lycée Sainte-Barbe à Paris, il échoue au Bac puis soutenu par ses parents, à sa grande surprise, ça les réconciliera, il décide qu'il sera comédien. Très vite il intègre le prestigieux cours d'Andrée Bauer-Thérond à Pigalle, il y croise entre autres : Maria Casarès, Luis Mariano, Roger Carel. Touche à tout, investi et passionné Michel travaille ses rôles comme un forcené, il s'enivre de théâtre, n'hésite pas à faire un détour par le conservatoire et la Comédie de Paris, orgueilleux, sûr de lui, il se fiche de jouer dans des salles vides, il aime les pièce engagées et avant-gardistes, il excelle dans les seconds rôles au cinéma jusque dans les années soixante et acquiert une solide notoriété grâce aux "cinéma de gare" comme il aime à le répéter. Il fait une apparition tardive mais très remarquée face à Jean-Paul Belmondo et Serge Reggiani dans "Le Doulos" de Jean-Pierre Melville en 1962 mais c'est Jean-Luc Godard qui va définitivement lancer sa carrière avec "Le Mépris" l'année suivante en lui offrant le rôle du mari pathétique et perdu dans l'Olympe face à une B.B plus magnétique et insolente que jamais. Un grand acteur est né. Les années soixante-dix seront les années "Sautet" dont il devient l'acteur fétiche, avec "Max et Les Ferrailleurs", "Les Choses de la vie" et "Mado" il s'installe définitivement dans le coeur des téléspectateurs français.

Et l'amour et l'amitié dans tout ça ? Il est vrai que même si l'art prend beaucoup de place dans la vie de l'acteur, parfois trop, il est du genre à incarner ses rôles dans l'intimité, il n'oublie pas d'accorder une place importante à l'amitié et aux femmes. Fidèle à ses amis, vaille que vaille (Serge Reggiani, le poète André de Richaud, Simone Signoret, Romy, Jane Birkin), fidèle en amour, il les aime belles avec de l'esprit, plutôt actrices parfois chanteuses, elles le quitteront, il ne les retiendra pas (Eléonore Hirt qui lui donnera une fille, Nicole Courcel, Juliette Gréco qu'il épousera en secondes noces et avec laquelle il mènera durant onze ans une vie discrète et bourgeoise loin des caméras).

Vous l'aurez compris, Michel Piccoli était un homme engagé dans la vie comme dans sa carrière. Engagé politique aussi, on ne saurait évoquer l'homme sans évoquer la politique. "Pseudo militant de gauche" c'est ainsi qu'il se définissait, il ne cachait pas ses opinions mais avait le tact de ne pas les imposer au monde. Toutefois on retrouvait son engagement jusque dans ses rôles, il est vrai qu'il a beaucoup joué des ouvriers, des patrons, des hommes d'affaires et ses premiers rôles au théâtre étaient des manifestes politiques. On se souviendra de sa présence aux côtés de Romy Schneider pour la liberté des prisonniers Est-allemands et auprès de François Mitterrand en 1981.

Ses blessures ? Quelles blessures ? Il n'en parlait jamais, il n'était pas le genre de personne à s'épancher, préférant adopter une certaine retenue qui lui donnait toujours cet air assuré et tranquille comme si rien ne pouvait venir ternir sa destinée.

"On dit peu de choses solides lorsqu'on cherche à en dire d'extraordinaires. C'est pourquoi je vous dis : je vous aime Michel" avec mes mots et au travers de mon écran car il y aura toujours une part de vous qui vivra grâce à la filmographie exceptionnelle que vous laissez derrière vous, plus de 200 films sans compter le théâtre et la télévision. Parmi eux je citerai :

French Cancan (Jean-Renoir - 1955)
La Mort en ce jardin (Luis Buñuel - 1956)
Le Doulos (Jean-Pierre Melville - 1962)
Le Mépris (Jean-Luc Godard - 1963)
Le Journal d'une femme de chambre (Luis Buñuel - 1964)
Compartiment tueurs (Costa-Gavras - 1965)
Belle de jour (Luis Buñuel - 1967)
Les Choses de la vie (Claude Sautet - 1970)
Max et les Ferrailleurs (Claude Sautet - 1971)
La Grande Bouffe (Marco Ferreri - 1973)
Vincent, François, Paul... et les autres (C. Sautet - 1974)
Mauvais Sang (Leos Carax - 1986)
Milou en mai (Louis Malle - 1990)
Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Et tant d'autres...









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