André de RICHAUD Une Vie, une uvre : 1907-1968 (France Culture, 1990)
Émission "Une Vie, une uvre", par Jacqueline de Roux, diffusée le 3 mars 1994 sur France Culture. Invités : Maurice Baquet, Pierre Seghers, Pascal Mazzotti, Georges Abbé, Robert Morel, Léon Gabriel Gros et François Marie Lemonnier.
Minuit vint.
Minuit disparut.
Minuit dix parut.
Minuit vingt.
Au fond, peut-être suis-je mort et peut-être c'est cela l'Enfer : vivre seul, sans besoins et sans amours.
Le repas se termina par les fruits qu’aimait Hugues : les pommes dont le feu ne réchauffe que l’épiderme et dont l’intérieur est comme un marbre frais. Les poires presque liquides, sur lesquelles le couteau glisse comme sur du cuir, puis qui se crèvent par surprise. Les raisins qui ont passé un mois sur les claies, à la chair plissée, dont le sucre s’est concentré et qui, déjà, après avoir été les choses les plus naturelles du monde, les présents directs de la terre, sont devenus des sucreries précieuses, comme nées de l’art des hommes.
"Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?" Voila le grand mot lâché. L'enfant qui vient au monde le dit dans son langage, et c'est la dernière fois que sa parole cadre exactement avec ce qu'il veut dire !
Les grands arbres faisaient une voûte au-dessus de la rivière et on avait l’air d’être dans une crypte verte. Par les interstices des branches, le soleil passait et faisait des ronds jaunes sur l’eau. De grands iris d’eau se miraient, dorés dans l’eau claire. Les végétaux de toutes sortes envahissaient les rives : longues guirlandes allant d’un arbre à l’autre, pierres moussues, graviers blancs, et, au-dessus de tout cela, ce grand silence, ce grand silence du monde dont le bruit de l’eau qui coule mollement, révèle la majesté...
Quand on me parlait de ma facilité, c'était, bien sûr, pour sous entendre que je ne m'en servais pas assez. Comme si -- parce qu'on a quelque talent -- on avait été créé et mis au monde pour, tous les ans, ou tous les deux ans, faire son petit caca en trois cents pages ou en quatre actes !... p 16
Thiodor
Mon père était comptable dans une grande épicerie, c'est-à-dire qu'aux odeurs écoeurantes qui règnent dans toutes les maisons très modestes, se mêlaient, quand il était chez nous, celles du fromage, du pain d'épices, et de l'alcool à brûler, odeurs qui me ravissaient (...)Pour les autres, sans doute, un pauvre niais derrière une petite grille et qui vous rendait la monnaie avec un être bête, entre deux pains de sucre. Pour moi, une sorte de Dieu, qui apportait d'un monde mystérieux, chaque soir, des senteurs magiques. (p. 10)
-Au lecteur qui me connaît-
Vous insistez surtout sur -les inexactitudes- Inexactitudes en regard de quoi ? En quoi un rêve est-il inexact ? Et qu'est-ce qu'un vrai roman, sinon un rêve ?
Parce que vous avez reconnu certaines silhouettes parmi mes personnages. (...)
D'abord, posons une fois pour toutes que ce que vous avez lu est un roman, donc une oeuvre d'imagination. Ensuite que je ne suis pas-obligé- de faire rire ou d'émouvoir quelques lecteurs (voyez si je suis modeste !) périodiquement. Je ne travaille pas aux pièces. (p.29)
Le Feu
-Tu ne serais pas fou, par hasard ? dit-il à Hubert.
Celui-ci savait la réponse exacte qu'il aurait pu faire à une question aussi naïve, mais il resta muet. Il lui avait toujours semblé que les choses qu'on dit, les fonds de l'âme qui se diluent dans l'air, ne vous appartiennent plus, se solidifient dans les mains des autres et peuvent devenir contre vous des armes redoutables. (p; 76)
Le Feu
il regarda un moment Hubert avec curiosité. Le prisonnier pensa voir dans ses yeux une sorte de peur. Avec tristesse car, depuis son enfance, il aurait voulu être aimé de tout le monde. Plus précisément depuis le jour où il s'était rendu compte qu'il était orphelin. Tout un gros bouquet d'amour s'était effeuillé devant ses yeux, glaïeuls et chrysanthèmes mordorés et il s'était trouvé face-à-face avec le village qu'il ne connaissait pas et qui paraissait, lui, ne pas le voir. (p. 70)