Sous son autre prénom (Louise),
Léonora Miano nous livre le récit d'une période particulièrement difficile de sa vie, à savoir les quelques mois qu'elle a passés, alors qu'elle avait 23 ans et un enfant en bas-âge, dans un centre de réinsertion et d'hébergement d'urgence (CHRS) à Paris.
Arrivée légalement quelques années plus tôt en France pour y faire des études, la jeune Camerounaise tombe amoureuse, s'installe avec son compagnon, mais leur situation financière est précaire, ils ne peuvent plus payer leur loyer, et enchaînent les séjours dans les hôtels et pensions minables. Louise n'ayant plus de résidence officielle, elle ne peut renouveler son titre de séjour, et se retrouve sans papiers, avec un bébé sur les bras et un compagnon qui s'avère être un lâche boulet, et qu'elle finit d'ailleurs par quitter.
Louise n'est pas expulsable, sa fille ayant la nationalité française, mais sa situation n'est pas brillante : seule, sans ressources, sans domicile, sans papiers, elle parvient à obtenir de l'aide sociale au lance-pierres, mais cela suffit à peine à payer une chambre chez un marchand de sommeil. Enfin, après un parcours du combattant dans les méandres administratifs, elle obtient une place dans un foyer pour femmes, un peu de répit pour Louise et sa fille, qui ne doivent plus se soucier (temporairement) de se loger et de se nourrir. Mais le centre n'est pas un palace, le personnel d'accueil fait ce qu'il peut avec les moyens du bord, c'est-à-dire pas grand-chose. Et surtout, personne n'a les moyens d'empêcher le désespoir d'y entrer en même temps que toutes ces femmes. La plupart sont coincées dans une situation administrative inextricable, sans possibilité (ou sans volonté) de présenter un projet de réinsertion qui les inclurait à nouveau dans la vie « visible ». Car toutes ces femmes, d'origine étrangère, sont des exclues de la société, tombées un jour, pour une raison ou une autre, dans une extrême précarité, enterrées vivantes dans un no woman's land administratif, désespérées par le non accueil de ce pays qui ne tient pas les promesses qu'on leur a fait miroiter : « Toute nation se crée des mythes. Toute nation repose sur des fictions. Dans celles qu'on nous conte de la France, il n'y a pas d'exclusion sociale. Pas d'endroits où les marginaux sont entassés, refoulés. Dans la fable qui se transmet chez nous de génération en génération, l'hiver est froid, mais il ne l'est que pour permettre le port de vêtements élégants. Manteaux. Écharpes. Bottes. On ne dit pas que ce froid est mortel pour ceux qui n'ont nulle part où aller. On ne sait rien d'eux. On ne dit rien des femmes qui échouent dans les CHRS ».
Dans ce purgatoire où il n'est pas question de sororité bienveillante, Louise reste à l'écart, sur ses gardes, ne se lie avec personne, se méfie de tout le monde. « Il n'y a pas de sororité chez les écartées. Les brebis égarées. Ces filles sont des lames aiguisées qui cherchent quelque chose à tailler en pièces. Elles sont lucides sur leur état. Savent être des mises en lambeaux, des désagrégées, des émiettées du dedans. Elles ont envie de casser tout ce qui leur semble entier. Envie de massacrer tout ce qui leur ressemble. Ce désir-là est le plus courant et le plus puissant. C'est comme briser le miroir qui vous renvoie une image dégradée ». Sa fille est son seul moteur, Louise veut reprendre des études, travailler pour les faire vivre toutes les deux.
Il aura fallu plus de 20 ans à Eleonora
Miano pour publier ce texte, elle s'en explique dans une préface touchante de lucidité et de sincérité. Elle laisse aussi entendre que tout ne s'est pas arrangé à sa sortie du centre d'un coup de baguette magique, et que les galères ont encore été nombreuses par la suite.
Au travers de son histoire personnelle, elle braque la lumière sur les promesses déçues de la migration et sur un aspect peu reluisant de nos sociétés, coupables d'abandonner à leur sort des êtres humains précarisés, et qui s'en dédouanent avec quelques ridicules sparadraps socio-administratifs sur des bataillons de jambes de bois. Un livre nécessaire.
En partenariat avec les Éditions Grasset via Netgalley.
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