Il me faut lire et relire Michaux, le découvrir et le redécouvrir encore. Alors, s'éloigne ma lassitude de vivre et je nais à un autre monde.
Un monde déréglé où d'autres lois agitent les êtres, où les objets familiers deviennent singuliers, se reconnaissent à peine à leur forme, sont souvent démembrés, parfois des morceaux de corps qui sollicitent alors notre attention, ainsi dans ce poème où "une tête sort du mur" et nous laisse songeur face à cette tête qui s'obstine à franchir un mur et encore un mur.
La poésie de Michaux nous semble échapper à toute définition, à toute analyse. Bien sûr ça et là se manifestent la fantasmagorie des rêves, la folie d'un aliéné qui pérore mais "l'animal mange serrure" ou "une femme me demande conseil", dans le recueil "entre centre et absence", par exemple dépassent les prouesses de l'imaginaire onirique ou la littérature des aliénés.
On rencontre là une forme d'absurde si étrange que frappé par les images, l'on suspend sa lecture ou bien on la précipite pour savoir à la fin ce qui va sortir de tout ce théâtre.
Ainsi Michaux ne fait pas qu'écrire avec son inconscient sur le mode de l'écriture automatique, ne fait pas qu'écrire sous l'emprise de la mescaline dont il fut un consommateur affûté.
Tous ces personnages, humains, animaux, objets en tout genre, vivent des aventures impensables. Michaux prend plaisir à les soumettre aux dangers les plus sanglants, à les placer en situation de fuite ou bien à les faire s'accoucher les uns des autres dans une ronde effrénée.
Nombre de ces
poèmes en prose font une concession à la lisibilité en éclairant les scènes les plus effarantes à la lumière de l'humour.
Non, la poésie de Michaux n'est pas hermétique. Elle nous propose un autre monde ou plutôt notre monde dissocié, recomposé, éclaté ou ravaudé, en proie à des lois qui défient toute logique, où l'intégrité des éléments de la réalité est battue en brèche. Où les différents règnes naturels s'interpénètrent, s'imitent, se combattent.
Et bien sûr il y a "Plume". Monsieur Plume, l'anti-héro d'une nouvelle poétique restée célèbre, car tout en entrant de plain pied dans l'univers halluciné du poète, nous pouvons tout du moins nous identifier à Plume et partager ses multiples avanies à travers de courts
poèmes en prose où l'imaginaire singulier du poète le dispute à une veine comique maîtrisée.
Que dire sinon que, certes, l"'on peut entrer dans la poésie de Michaux avec perplexité, mais que du chaos inénarrable qui y règne, l'on sort ragaillardi et, somme toute, allègre.
KP