Ce tome contient deux histoires complètes initialement parues dans le magazine Misty, magazine hebdomadaire, en 1978. Il commence par une introduction de 2 pages, écrite par pat Mills évoquant la création du magazine par Wilf Prigmore et lui. Les deux histoires sont en noir & blanc.
Moonchild : sérialisé dans les numéros 1 à 13 de Misty, 53 pages, scénario de
Pat Mills, dessins et encrage de
John Armstrong. Rosemary Black est dans une salle d'audience, lors d'une séance où sa mère Julia doit répondre du mauvais traitement qu'elle lui inflige. le juge estime qu'il s'agit d'une éducation stricte, mais juste. Il relâche donc Julia Black, et elle rentre chez elle avec sa fille. Rosemary monte dans sa chambre en s'éclairant avec sa bougie, car sa mère refuse d'avoir l'électricité et le gaz. le lendemain, la professeure regrette qu'elle n'ait pas fini ses devoirs. Norma, une des autres filles de la classe, recommence à la prendre comme souffre-douleur. Ce jour-là, elle lui dépose une grosse araignée sur le bras. À la pause déjeuner, sa copine Anne l'emmène dans le salon de coiffure de sa mère qui lui fait une coupe plus courte, lui dégageant le front. Les deux filles se rendent compte qu'il y a une marque en forme de croissant de lune juste en dessous de la naissance des cheveux. Pendant ce temps-là, Norma et ses copines ont préparé un tour à leur façon, en introduisant une allumette dans une craie. L'après-midi, Rosemary passe au tableau et la craie s'enflamme, mettant le feu à la laque qui se trouve sur une partie de ses cheveux. Elle a vite fait de les éteindre, tout en pensant que Norma doit souffrir pour ça. le meuble contenant les livres se renverse sur Norma, occasionnant plus de peur que de mal.
Avec l'aide de la mémoire de
Pat Mills, le groupe d'édition Rebellion décide de mettre en valeur d'autres publications britanniques que 2000 AD. C'est ainsi qu'il publie ce premier recueil, rassemblant deux histoires parues dans Misty, un hebdomadaire de bande dessinée, taillé sur mesure pour un jeune lectorat féminin.
Pat Mills participe à la création dudit magazine, sa conception, et écrit une des premières histoires. L'histoire met donc en scène une jeune fille qui fête ses 13 ans au cours de l'histoire. Elle habite avec sa mère qui est veuve, dans un appartement en ville mais sans électricité. Très rapidement (dès le premier chapitre), elle fait montre d'un pouvoir surnaturel qu'elle ne parvient à maîtriser. le récit comprend de nombreux éléments attestant de viser un public ciblé : la bonne copine, les persécutrices de la classe, la question de la coupe de cheveux, la mère sévère et rétrograde, la fête d'anniversaire. Dans le même temps, le scénariste introduit des éléments horrifiques : le pouvoir incontrôlable, le châtiment corporel, la marque sur le front, la grand-mère très inquiétante. Dans l'introduction, il explique qu'il regrette de ne pas avoi été plus loin avec ces éléments pour frapper les esprits davantage. Pour un lecteur adulte, il apparaît que le récit s'adresse à de jeunes lectrices pas tout à fait encore adolescentes, avec des cartouches de texte explicatifs assez appuyés.
John Armstrong dessine dans un registre descriptif et réaliste, avec un bon niveau de détails. En moyenne, il y a 8 ou 9 cases par page. le lecteur remarque qu'à chaque fois, il y a au moins une case de forme bizarre, en trapèze, en cercle, en insert, en décalage avec celles d'à côté, et même de forme bizarre sur deux rangées, vraisemblablement une consigne des responsables éditoriaux pour donner l'impression de mouvement, de désordre occasionné par les réactions émotionnelles et les coups de théâtre. L'artiste impressionne par la quantité d'informations visuelles qu'il montre dans une page. Il dessine de vraies jeunes filles, sans exagérer leurs formes, avec des visages et des postures qui correspondent bien à leur âge, pas des adultes miniatures. Il représente les décors avec une forte régularité, avec des détails pertinents pour donner à voir des pavillons modestes dans une banlieue anglaise. le lecteur plonge dans la banalité de cet environnement dans lequel les événements sortant de l'ordinaire ressortent avec plus de force. La narration visuelle est tellement explicite et évidente, que le lecteur est souvent tenté de lire les cartouches de texte en diagonal.
Même si le lecteur ne dispose pas de la référence,
Pat Mills l'explicite dans l'introduction : une jeune fille prépubère qui est en butte aux tracasseries, voire au harcèlement de certaines de ses camarades de classe, et qui se découvre des pouvoirs, c'est bien sûr Carrie (1974) de Brian de Palma. Un lecteur adulte se doute bien du déroulement probable des événements, et sourit à plusieurs éléments et plusieurs coïncidences bien pratiques. Finalement le fait qu'il n'y ait pas d'électricité dans la maison des Black n'a pas de réelle incidence sur le récit, si ce n'est que d'installer une ambiance peu crédible. le lecteur assiste au retour de la grand-mère à un moment bien pratique pour l'intrigue. Finalement, ce premier récit étonne un peu (mais pas beaucoup) par quelques éléments horrifiques dans un récit très classique de jeune fille harcelée par des pestes, et par la qualité de la narration visuelle, évoquant les meilleurs strips britanniques.
The four faces of Eve : sérialisé dans les numéros 20 à 31 de Misty, 48 pages, scénario de
Malcolm Shaw, dessins et encrage de
Brian Delaney. La jeune Eve se réveille en sursaut dans un lit d'hôpital. Elle vient de faire un horrible cauchemar dans lequel elle voit une jeune fille bonde (elle-même étant brune) courir pour s'éloigner d'un avion en flamme. Sa mère est à ses côtés et elle rassure Eve : ce n'était qu'un mauvais rêve. Dans une autre pièce de l'hôpital, deux médecins discutent : l'un d'entre eux estime que ces cauchemars pourraient constituer un problème, mais que sinon ils ont réussi. L'autre, le père d'Eve, acquiesce et va retrouver sa fille dans sa chambre. Les deux parents finissent par quitter la chambre, et Eve se fait la remarque qu'ils ne l'embrassent jamais, qu'ils ne la prennent jamais dans leur bras. Soudain, la porte s'ouvre et une autre demoiselle entre : elle était curieuse de faire la connaissance d'Eve dont la chambre est si bien gardée, et elle commence à faire la causette. Une infirmière arrive et intime à la demoiselle de sortir immédiatement car elle n'a rien à faire dans cette chambre. Attristée et fatiguée, Eve va se recoucher et finit par s'endormir. Elle est réveillée au milieu de la nuit par ses parents qui lui indiquent qu'elle déménage immédiatement car ils vont habiter dans un cottage un peu isolé. En arrivant sur place, Eve le trouve magnifique.
Par comparaison avec le premier récit, le lecteur remarque tout de suite que les pages et les dessins sont beaucoup plus aérés, l'artiste se focalisant essentiellement sur les personnages et souvent en plan italien ou plus rapproché. Il ne représente les décors qu'en rappel en fond de case par quelques traits, ou bien en ouverture de scène pour établir un nouvel endroit. le lecteur apprécie quand même l'avion qui est la proie des flammes, la belle voiture des Marshall, la vue extérieure du cottage, les poutres apparentes à l'intérieur, et le chapiteau du cirque. La représentation des personnages est également plus aérée, avec des expressions de visage moins convaincantes, et des silhouettes très élancées. La complémentarité entre les dessins et les phylactères est mieux équilibrée que dans le premier récit. Tout comme dans celui-ci, la composition des pages donne l'impression que le responsable éditorial exige au moins une case de forme inattendue par page : sans bordure, de forme trapézoïdale, enchâssée dans une autre, etc.
La dynamique du récit réside dans un mystère : Eve ne sait pas qui elle est, ses parents ne semblent pas être ses parents, et ses empreintes digitales sont celles d'une jeune fille décédée. le scénariste invite le lecteur à suivre Eve qui tombe par hasard sur des indices de plus en plus confus. le lecteur partage son incompréhension, pas très sûr de l'identité réelle de la jeune fille, incapable de deviner les réelles motivations de ses parents. le récit se focalise plus que le premier, sur le ressenti de l'héroïne, ses émotions, son inquiétude. le scénariste introduit moins de rebondissements : un cambriolage, un cirque, un accident. Après coup, le lecteur se demande encore ce que le cambriolage venait faire là. Il est également possible qu'il reste très dubitatif devant la révélation de la véritable identité d'Eve, le scénariste jouant avec quelques coïncidences comme dans le premier récit, et des invraisemblances peut-être plus visibles du fait qu'il n'y ait pas de phénomène surnaturel impliqué.
Ce deuxième récit se lit plus facilement que le premier, car les textes sont moins pesants, mais la narration visuelle est moins riche. le déroulement de l'intrigue donne la sensation que le scénariste ne sait pas tirer profit de l'amnésie d'Eve.
Ce premier tome des rééditions du magazine Misty constitue un acte de préservation d'une partie du patrimoine de la bande dessinée britannique, donnant ainsi l'occasion au lecteur de découvrir deux récits de cet hebdomadaire ayant été publié pendant deux ans. Si sa fibre nostalgique n'est pas titillée, il n'est pas sûr que sa curiosité le pousse à lire les autres, même si Misty Presents The Jordi Badia Romero Collection semble bénéficier de superbes dessins.