Sébastien Roch /
Octave Mirbeau
« de tous les pays bretons, le taciturne Morbihan est demeuré le plus obstinément breton, par son fatalisme religieux, sa résistance sauvage au progrès moderne, et la poésie, âpre indiciblement triste de son sol qui livre l'homme, abruti de misères, de superstitions et de fièvres, à l'omnipotente et vorace consolation du prêtre. »
C'est donc vers Vannes, dans le Morbihan, que M. Joseph - Hippolyte - Elphège Roch, quincaillier à Pervenchères, petite ville du département de l'Orne, osa concevoir l'orgueilleuse pensée d'envoyer, chez les Jésuites, son fils Sébastien qui venait d'avoir ses onze ans, afin de lui offrir une éducation de haut rang, religieuse et mondaine tout à la fois. C'est sur l'école
Saint François Xavier que dirigeaient les pères Jésuites que M.Roch jeta son dévolu, une institution en 1867 au faîte de sa renommée.
Sébastien était un bel enfant, docile, frais et blond, qui aimait grimper aux arbres, guetter les poissons au bord de la rivière et pour qui la nature était un perpétuel champ de récréation. Son père, absorbé tout le jour par les multiples détails d'un commerce bien achalandé, n'avait pas eu le temps de semer en cet esprit vierge les premières semences de la vie intellectuelle .
M.Roch, marguillier au village et détenant une certaine fortune, étonnait souvent par son éloquence : il ne savait s'exprimer que par de solennelles harangues. Mais il n'avait pas compris qu'en infusant à son fils la semence d'une vie nouvelle, ce brusque viol de sa virginité intellectuelle lui infusait aussi le germe de la souffrance humaine. La paix de sa conscience était détruite, ses sens perdaient de la simplicité de leurs perceptions.
La tante de Sébastien avait une fille, Marguerite, du même âge que lui, et les deux enfants s'étaient depuis longtemps liés d'une amitié assez vive. Quoique réservé et silencieux, Sébastien éprouvait un soulagement réel en la société de sa petite amie, cousine en vérité. La vue de Marguerite le rassérénait et celle-ci, moins timide que lui abruti par les prêches de son père, plus audacieuse de gestes et de caresses, lui ressuscitait le repos et le bonheur qu'il avait perdu.
Tout dans les actions et les discours de son père le désenchantait et le blessait.
le grand jour est arrivé pour Sébastien, angoissant et triste. Accompagné par un religieux de l'école de Vannes, il découvre son nouvel univers et peu à peu il éprouve une impression d'abandon, d'exil, la sensation douloureuse d'être arraché à des habitudes qui faisaient son bonheur. Il subit rapidement les insultantes moqueries de la part de ses condisciples et notamment de Guy de Kerdaniel, chef de file d'un petit groupe de nobles fiers et hautains. Pas un seul visage pour le secourir, il reste seul à l'écart craignant les rebuffades et finit par se résigner à sa nouvelle existence. Lui viennent des idées de suicide, désespéré par les propos acerbes et acescents des autres, la mort lui paraissant comme un refuge. Sébastien finit par se résigner à sa nouvelle existence et acquiert dans le travail une sorte de paix. C'est grâce à Jean de Kerral, un de ses condisciples, un garçon bienveillant aux manières alliciantes, que Sébastien retrouve la confiance et une certaine hardiesse.
le temps passe et l'attitude de Jean de Kerral le déçoit. Sébastien devient paresseux et passe rapidement pour le cancre du groupe. Ce qu'on le force à apprendre ne correspond à aucune de ses aspirations. Il devient dur, entend faire respecter son père qui est quincailler et ses souvenirs intouchables. Sa nouvelle passion est la musique : quand il entend de la musique, il comprend mieux, il aime mieux…
Les premières vacances dans la famille sont une déception, une période intolérable en raison des assauts perpétuel de son père et ses exhortations et philippiques grotesques. le retour à Vannes est paradoxalement le bienvenu.
Les années passent et Sébastien a pris de l'assurance, se contrôle mieux et revit grâce aux cours de musique du père Marel. Hélas, cela ne dure qu'un temps, le père Marel étant appelé à d'autres fonctions. C'est vers le dessin que Sébastien se tourne alors et y trouve un aliment à ses ambitions. La poésie également l'attire et
Victor Hugo est son idole, y découvrant l'illumination du verbe.
L'épisode trouble suscité par le père Kern au regard douteux l'épouvante tout en l'attirant curieusement. Sébastien sent naître en lui et s'agiter des troubles physiques d'un caractère anormal qui l'inquiète. Un poison au goût peccamineux est en lui qui parcourt toute sa chair…
le renvoi du collège suite à une conspiration ourdie par le père de Kern est un drame pour Sébastien qui détient un secret pesant et étouffant qu'il ne veut divulguer dans un premier temps…
Des années plus tard, en 1870, alors qu'il a vingt ans, Sébastien erre en solitaire et mène une vie vide de tout sens. Il écrit un journal pour exprimer tout ce qu'il ressent, la haine et la rancoeur qui l'animent :
« J'ai horreur du prêtre, je sens le mensonge de la morale qu'il prêche, le mensonge de ses consolations, le mensonge du Dieu implacable et fou qu'il sert; je sens que le prêtre n'est là, dans la société, que pour maintenir l'homme dans sa crasse intellectuelle, que pour faire, des multitudes servilisées, un troupeau de brutes imbéciles et couardes…Et une sorte de pitié irritée me vient contre cette humanité, tapie là, dans ses bauges, et soumise par la morale religieuse et la loi civile à l'éternel croupissement de la bête. Y a - t - il quelque part une jeunesse ardente et réfléchie, une jeunesse qui pense, qui travaille, qui s'affranchisse et nous affranchisse de la lourde, de la criminelle, de l'homicide main du prêtre, si fatale au cerveau humain…Il est curieux que le peuple ne vibre qu'à ces deux sentiments : le sentiment religieux, et le sentiment militaire, qui sont les plus grands ennemis de son développement. »
Sa relation avec Marguerite va prendre un tour étrange avec tout à la fois une répulsion physique, une haine et une impossibilité de se passer d'elle.
La guerre de 1870 éclate et Sébastien est contraint de partir se battre…
Dans ce beau et courageux roman au style éblouissant publié en 1890,
Octave Mirbeau se livre avec talent à une vive critique des Jésuites et des moeurs provinciales en même temps qu'il décrit avec subtilité la lente soumission de l'esprit qui conduit au viol physique.
Octave Mirbeau qui fut lui-même élève des Jésuites, ose dans ce livre dénoncer déjà la pédophilie dans l'église ainsi que les manipulations du clergé et le rachat pervers des consciences. C'est à bas bruit que la tragédie s'installe au cours du récit.
Inutile de dire que ce roman fit scandale lors de sa parution !