Mais à peine avait-il commencé sa lecture qu'il éprouva une sensation désagréable : les phrases s'enchevêtraient et d'autres phrases apparaissaient brusquement qui recouvraient les précédentes, et disparaissaient sans lui laisser le temps de les déchiffrer.
Les gens ne répondent plus au téléphone... Je ne sais pas s'ils sont encore vivants, s'ils m'ont oublié, ou s'ils n'ont plus le temps de prendre une communication...
Cet après-midi de l'année dernière, le 4 décembre 2012-il avait noté la date sur son carnet-, l'embouteillage se prolongeait et il demanda au chauffeur de taxi de prendre à droite la rue Coustou. Il s'était trompé quand il croyait voir de loin l'enseigne du garage, puisque le garage avait disparu. Et aussi, sur le même trottoir, la devanture de bois noir du Néant. Des deux côtés, les façades des immeubles paraissaient neuves, comme recouvertes d'un enduit ou d'une pellicule de cellophane d'un blanc qui avait effacé les fissures et les taches du passé. Et, derrière, en profondeur, on avait dû se livrer à une taxidermie qui achevait de faire le vide. Rue Puget, un mur blanc remplaçait les boiseries et le vitrail de l'Aero, de ce blanc neutre couleur de l'oubli. Lui aussi, pendant plus de quarante ans, il avait fait un blanc sur la période où il écrivait ce premier livre et sur l'été où il se promenait seul avec dans sa poche la feuille pliée en quatre : POUR QUE TU NE TE PERDES PAS DANS LE QUARTIER;
A cause d'une trop longue solitude – il n'avait parlé à personne depuis le début de l'été –, vous devenez méfiant et ombrageux vis-à-vis de vos semblables et vous risquez de commettre à leur égard une erreur d'appréciation. Non, ils ne sont pas si méchants que ça.
Le matin, il est réveillé par les rayons du soleil qui pénètrent dans sa chambre à travers les rideaux et font des tâches orange sur le mur. Au début, ce n'est presque rien, le crissement des pneus sur le gravier, un bruit de moteur qui s'éloigne, et il vous faut un peu de temps encore pour vous rendre compte qu'il ne reste plus que vous dans la maison.
On finit par oublier les détails de notre vie qui nous gênent ou qui sont trop douloureux. Il suffit de faire la planche et de se laisser doucement flotter sur les eaux profondes, en fermant les yeux.
On finit par oublier les détails de notre vie qui nous gênent ou qui sont trop douloureux. Il suffit de faire la planche et de se laisser doucement flotter sur les eaux profondes, en fermant les yeux.
Quand il était plus jeune, ce genre d'énigme, en apparence insignifiante, pouvait l'occuper plusieurs jours au cours desquels il cherchait obstinément une réponse. Même s'il s'agissait d'un minuscule point de détail, il éprouvait un sentiment d'angoisse et de manque tant qu'il ne l'avait pas relié à l'ensemble, comme une pièce de puzzle que l'on a perdue.
D'ailleurs, depuis quelque temps, ses lectures s'étaient réduites à un seul auteur : Buffon. Il y trouvait beaucoup de réconfort grâce à la limpidité du style et il regrettait de n'avoir pas subi son influence : écrire des romans dont les personnages auraient été des animaux, et même des arbres ou des fleurs...
Quarante ans plus tard, quand l’agrandissement de la (sic) photomaton lui tomberait entre les mains, il ne saurait même plus que c’était lui, cet enfant-là.