Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon s'égayent bien sur votre corps; ils ont en vous une bonne vache à lait; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.
MONSIEUR PURGON: Je viens d'apprendre là-bas, à la porte, de jolies nouvelles: qu'on se moque ici de mes ordonnances, et qu'on a fait refus de prendre le remède que j'avais prescrit.
ARGAN: Monsieur, ce n'est pas.
MONSIEUR PURGON: Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rébellion d'un malade contre son médecin.
TOINETTE: Cela est épouvantable.
MONSIEUR PURGON: Un clystère (1) que j'avais pris plaisir à composer moi-même.
ARGAN: Ce n'est pas moi.
MONSIEUR PURGON: Inventé et formé dans toutes les règles de l'art.
TOINETTE: Il a tort.
MONSIEUR PURGON: Et qui devait faire dans des entrailles un effet merveilleux.
ARGAN: Mon frère.
MONSIEUR PURGON: Le renvoyer avec mépris!
ARGAN: C'est lui.
MONSIEUR PURGON: C'est une action exorbitante.
TOINETTE: Cela est vrai.
MONSIEUR PURGON: Un attentat énorme contre la médecine.
ARGAN: Il est cause.
MONSIEUR PURGON: Un crime de lèse-Faculté, qui ne se peut assez punir.
TOINETTE: Vous avez raison.
MONSIEUR PURGON: Je vous déclare que je romps commerce avec vous.
ARGAN: C'est mon frère.
MONSIEUR PURGON: Que je ne veux plus d'alliance avec vous.
TOINETTE: Vous ferez bien.
MONSIEUR PURGON: Et que, pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisais à mon neveu, en faveur du mariage.
ARGAN: C'est mon frère qui a fait tout le mal.
MONSIEUR PURGON: Mépriser mon clystère!
ARGAN: Faites-le venir, je m'en vais le prendre.
MONSIEUR PURGON: Je vous aurais tiré d'affaire avant qu'il fût peu.
TOINETTE: Il ne le mérite pas.
MONSIEUR PURGON: J'allais nettoyer votre corps et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs.
ARGAN: Ah, mon frère!
MONSIEUR PURGON: Et je ne voulais plus qu'une douzaine de médecines, pour vuider le fond du sac.
TOINETTE: Il est indigne de vos soins.
MONSIEUR PURGON: Mais puisque vous n'avez pas voulu guérir par mes mains,
ARGAN: Ce n'est pas ma faute.
MONSIEUR PURGON: Puisque vous vous êtes soustrait de l'obéissance que l'on doit à son médecin,
TOINETTE: Cela crie vengeance.
MONSIEUR PURGON: Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais,
ARGAN: Hé! point du tout.
MONSIEUR PURGON: J'ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l'intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l'âcreté de votre bile et à la féculence de vos humeurs.
TOINETTE: C'est fort bien fait.
ARGAN: Mon Dieu!
MONSIEUR PURGON: Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable.
ARGAN: Ah, miséricorde!
MONSIEUR PURGON: Que vous tombiez dans la bradypepsie,
ARGAN: Monsieur Purgon.
MONSIEUR PURGON: De la bradypepsie dans la dyspepsie,
ARGAN: Monsieur Purgon.
MONSIEUR PURGON: De la dyspepsie dans l'apepsie,
ARGAN: Monsieur Purgon.
MONSIEUR PURGON: De l'apepsie dans la lienterie,
ARGAN: Monsieur Purgon.
MONSIEUR PURGON: De la lienterie dans la dyssenterie,
ARGAN: Monsieur Purgon.
MONSIEUR PURGON: De la dyssenterie dans l'hydropisie,
ARGAN: Monsieur Purgon.
MONSIEUR PURGON: Et de l'hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie."
[extrait du second prologue, joué le 4 mai 1674]
Ces remèdes peu sûrs, dont le simple vulgaire
Croit que vous connaissez l'admirable vertu,
Pour les maux que je sens n'ont rien de salutaire.
Et tout votre caquet ne peut être reçu
Que d'un MALADE IMAGINAIRE.
- Je vois, monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous que j'aie?
-Je crois tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.
-Ah! ah! ah! ah! ah! ah! j'en ai quatre-vingt-dix.
-Quatre-vingt-dix!
"ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE.- Justement, le poumon.
ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.
TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- J’ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE.- Le poumon."
TOINETTE (déguisée en médecin)
- Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menus fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fièvrotes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine : c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe ; et je voudrais, monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes et l'envie que j'aurais de vous rendre service.
ARGAN
Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
Acte III, Scène X
THOMAS DIAFOIRUS, à Angélique - Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on...
ARGAN - Ce n'est pas ma femme, mais ma fille à qui vous parlez.
[notice d'Alphonse Bouvet]
le grand modèle de Molière est Molière lui-même.
Maladus dût-il crevare
(in Troisième Intermède)
ARGAN.-Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous et nous voyons que, dans la maladie, tout le monde a recours aux médecins.
BERALDE.-C'est une marque de la faiblesse humaine, et non de la vérité de leur art.