Citations sur Le relais des amis (16)
Personnellement, les ronflements ne me gênent pas, ils m’encouragent même à dormir, je trouve qu’ils donnent l’exemple : leur enthousiasme bon enfant est une publicité spontanée pour les bienfaits du sommeil, dont ils ont l’air de vanter la plénitude béate, et je me sens plutôt bien dans leurs volutes affirmées et tranquilles.
Une phrase, allons, une bonne petite phrase qui vous donne envie d’entrer dans cette histoire et de vous laisser emmener, une première phrase dont avec un peu de chance les autres ensuite découleront comme d’elles-mêmes, avec cette énergie joyeuse des phrases qui éclosent, ça ne devrait pas être bien sorcier ; mais ce n’est pas la peine de vous énerver, Simon n’y arrive pas.
(Incipit)
Chassons ces idées, allons, observons plutôt la pluie qui tombe sur la vitre, plaquée par la vitesse, emmenée par son frottement. C’est toujours un peu surprenant, ce trajet presque horizontal alors des gouttes, les lignes que ça dessine, le sillage, vous visualisez, de chacune, qui avance en sinuant, qui se propulse, comme si elle avait une petite tête ronde et une queue, et, regardez-moi dans les yeux, en toute franchise, est-ce qu’on ne dirait pas des spermatozoïdes qui s’élancent à toute berzingue, vus au travers d’un microscope et nageant avec vivacité sur leur lame de verre ?
Derrière, le paysage raturé fait ce qu’il peut pour exister, campagne déserte, champs qui prennent l’eau, chemins de plus en plus boueux ; et puis une maison qui au milieu de toute cette nature donne l’impression d’être parfaitement solitaire, calme et tranquille, alors même que son contrechamp, c’est le train, plusieurs fois par jour, qui transporte des milliers de voyageurs dont les silhouettes s’aperçoivent depuis ses fenêtres – parmi lesquelles à cet instant, rapide, fugace et de profil, celle de notre Lila.
Et là, je mets cartes sur table. Deux solutions s'offrent à nous : les suivre ou rester avec Lila. Ah, le monde est un réseau inextricable de possibles, qui font autour de nous leur sarabande, et que nous assassinons finalement sans vergogne chaque fois que nous faisons un choix. Vous avez une préférence? p. 47
"Roger contemple son verre de blanc comme si la solution à tous ses problèmes se trouvait dedans. Une solution dense et minuscule, une particule, qu'il s'agit de déceler, et si elle n'est pas dans ce verre-là, peut-être qu'elle sera dans le suivant. Il paraît concentré, avec quelque chose de très intérieur, dans une certaine absence et à la fois extrêmement présent; et est-ce que ceux qui boivent seuls au comptoir n'ont pas l'air d'en savoir plus que nous tous sur la complexité des choses, est-ce qu'ils n'ont pas l'air de porter sur leurs épaules le poids des chagrins du monde, de les connaître intimement, ces chagrins, d'en détenir une conscience profonde et presque philosophique ?"
Une phrase, allons, une bonne petite phrase qui vous donne envie d'entrer dans cette histoire et de vous laisser emmener, une première phrase dont avec un peu de chance les autres ensuite découleront comme d'elles-mêmes, avec cette énergie joyeuse des phrases qui éclosent, ça ne devrait pas être bien sorcier; mais ce n'est pas la peine de vous énerver, Simon n'y arrive pas.
Alors, juste pour qu'on reste encore ensemble quelques fragiles instants de plus, Simon s'arrête devant la mer, ample, pleine, il se baisse pour ramasser un caillou tout plat qui semblait l'attendre dans le sable humide, et il le lance, voilà, à la surface de l'eau, où, regardez, le galet ricoche, léger, guilleret et harmonieux.
Roger contemple son verre de blanc comme si la solution à tous ses problèmes se trouvait dedans. Une solution dense et minuscule, une particule, qu'il s'agit de déceler, et si elle n'est pas dans ce verre-là, peut-être qu'elle sera dans le suivant.
pages 18/19
ah, si seulement on pouvait, en guise de souvenirs, rapporter des objets des romans qu'on lit aussi bien que des voyages qu'on fait.
Ils marchent le long du lac, et on prend l’air avec eux. C’est plaisant de s’imaginer ces terres vastes, la ligne ondulée des montagnes, cette frange d’arbres aux feuilles à peine bruissantes, ce reflet du ciel dans l’eau, ça ouvre quelque chose dans l’espace réel dans lequel on se trouve, ça crée comme un second espace plus grand, plus ample, et disponible, dans lequel on a tout de même un peu le sentiment de se promener.
Oh, l’espace préservé que c’est, un livre, dans lequel on peut évoluer à notre aise, sans masque ni gel, juste à y barboter gaiement, impunis et libres, tout en nous souvenant de nos heures, de nos joies et de nos peines, de ce qui nous constitue, de ce à quoi on tient, les sensations du monde.
(pp.88-89)