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sur 844 notes
Préjugé, quand tu nous tiens !

En démarrant Arpenter la nuit de Leila Mottley – traduit par Pauline Loquin - je m'attendais à lire avec plaisir une de ces nouvelles jeunes auteures américaines de la lignée des Harris, Crane ou Offill, qui marquent avec leurs justes et revendicatrices colères raciales et féministes et leur style cash, les sorties US de ces derniers temps.

Raté Jiemde. Car si une partie des thématiques est similaire, la tonalité et la promesse du style sont toutes autres, et augurent d'une auteure dont on devrait entendre beaucoup parler à l'avenir.

En 2015 à East Oakland dans le nord de la Californie, Kiara/Kia tente comme tant d'autres de survivre entre petits boulots, loyer à payer et avenir à dessiner. Si le cancer a emporté son père, c'est une tentative de suicide qui a placé sa mère en centre de réinsertion, laissant Kia seule avec son frère aîné Marcus qui ne rêve que de rap plutôt que de job.

Un ultimatum, un lieu, une rencontre, un instant où tout bascule, et Kia découvre l'argent « facile » de la prostitution ; facile pour celui qui le donne, mais tout sauf « facile » et tellement traumatisant pour celle qui le reçoit. Surtout quand il provient de la petite mafia des flics locaux qui mélangent les genres et abusent des filles. Jusqu'à ce que tout s'effondre…

« Je me dis que mon corps doit sans doute permettre aux petits de se sentir grands. Quand ils me possèdent, ils peuvent tirer leur ego par le cou et cracher du pognon qui était sûrement destiné au loyer ou aux couches de bébé ».

Démarrant doucement, comme sur un faux rythme qui surprend son lecteur, Arpenter la nuit monte en puissance au fil des pages pour atteindre dans son dernier tiers des moments de beauté et de grâce extrêmement touchants, d'une incroyable maturité pour une auteure de dix-sept ans.

À travers Kia, Mottley dit la solitude et les peurs de toutes ces adolescentes noires qui font face en Californie à la soumission et la violence, à l'abandon familial, et à la tentation du corps comme monnaie de survie.

Les hommes n'ont ici pas le beau rôle, ayant souvent « égaré leur croissant de lune protecteur et salvateur » pour ne penser qu'à d'autres portions de lunes ou à l'image de Marcus, courant derrières les chimères de la gloire facile. Sans oublier l'oncle Ty, insensible aux espoirs portés sur lui par Kia.

Mais heureusement, il y a Trevor, petit gamin à l'abandon, fils quasi abandonné de la voisine, bouée de sauvetage de Kia qui retrouvera en lui une raison d'exister et de se battre, une envie de replonger dans le grand bain de la vraie vie, même si de la merde y flotte un peu partout.

Un formidable rayon de soleil que ce petit Trevor, qui réussira à faire oublier les ombres de la soeur absente ou de la mère abandonniste, et à réapprendre à Kia une autre façon d'arpenter la rue, d'arpenter la vie.

« Il y a énormément de façons de marcher dans la rue et moi je suis juste une fille recouverte de chair ».
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Arpenter la nuit, c'est, pour parler de manière plus prosaïque, faire le trottoir. C'est aussi cheminer à travers les noirceurs et les rugosités de la vie. C'est ce que fait Kiara, âgée seulement de dix-sept ans. Dix-sept ans et une famille qui a déjà volé en éclats : son père est mort, sa mère est dans un centre de réinsertion, son oncle a déserté, son grand frère se laisser guider par des rêves inaccessibles et ne se donne même pas la peine de chercher du travail. Elle trouve du réconfort auprès d'Alé, son amie, chez qui elle sait pouvoir venir manger lorsque son estomac est vide, et auprès de Trévor, son petit voisin de neuf ans, complètement délaissé par une mère toxicomane, dont l'insouciance et le sourire lui donnent la force de se battre. Elle tente, tant bien que mal, de payer les factures, de régler un loyer qui ne cesse d'augmenter et d'assumer, seule, des responsabilités qui dépasseraient tout adolescent. Un jour, sans jamais l'avoir anticipé, elle se rapproche d'un homme et lui vend son corps. La rue l'absorbe, les billets tombent et, avec eux, éclatent toute la crasse et toute la perversion d'une société qui n'a pas su la protéger.
Il faut tout de suite dire qu'Arpenter la nuit est un premier roman et qu'il fait partie des titres nommés au Booker Prize 2022, cela ne peut qu'interpeller. de plus, il se dégage des presque 400 pages qui le composent une maturité hallucinante quand on sait qu'il a été écrit par Leila Mottley alors qu'elle n'était âgée que de dix-sept ans. C'est un talent brut et son style l'est : percutant, sans détour et vif. Mais il y a aussi une tonalité très poétique : Kiara, malgré ce qu'elle vit, est encore une enfant, elle en a la sensibilité, la naïveté et le charme, mais elle devient aussi une adulte, capable de se livrer à de grandes réflexions sur la vie, ce qui donne des passages d'une grande profondeur. Kiara, c'est le corps – marchandé, utilisé et meurtri – mais c'est aussi l'esprit – libre, rêveur et clairvoyant. Et c'est cette dualité qui explique le style. C'est un roman qui est très riche par les thèmes qu'il aborde (chômage, prostitution, drogue, corruption…) et très éclairant sur la société qu'il dépeint et, en particulier, sur la condition des jeunes filles noires. C'est un véritable tableau de la misère sociale. Je le recommande chaudement, ne serait-ce que pour donner un coup de pouce à cette jeune écrivaine prometteuse.

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Telle Mathilde, ma malédiction est revenue ! Sans doute que l'on m'a de nouveau jeté un sort (un maraboutage ?)...

♫ Membres de Babelio, voici le temps venu,
♫ D'aller prier pour mon salut ♪
♪ Ma malédiction est revenuuuuueeeeee ♪

Hé oui, malgré la pléthore de critiques élogieuses sur ce roman, moi, je serai à contre-courant.

Pourtant, tous les ingrédients étaient réunis pour donner un excellent roman noir : misère sociale, enfants sans parents, Marcus le frère qui glande et qui croit percer dans le rap, une voisine toxico qui abandonne son gosse de longs moments, des loyers que l'on ne sait plus payer, Kiara la petite soeur qui prend en charge son destin en devenant escort girl pour payer les loyers et les courses, le racisme ambiant (ils sont Noirs) et une ville qui n'a rien à leur offrir (Oakland).

Nom de Zeus, on se croirait tout droit tombé dans du Zola ou du Hugo ! Un plat à la "Misérables", assaisonné de "Nana"… Hélas, le tout manquait de cohérence, de profondeur, d'assaisonnement, de cuisson…

Le problème est venu des personnages, que j'ai trouvé plats, sans profondeur, sans nuances, comme s'ils passaient là par hasard, sans que je ressente la moindre empathie pour eux, alors qu'ils vivent tout de même des moments atroces dans leurs vies.

Le second problème est venu du récit, qui ne m'a jamais fait vibrer, qui était monotone, même, et qui m'a juste donné envie d'aller voir si je n'avais pas de la vaisselle à faire (un comble!).

On peut apprécier un roman sans jamais s'identifier à l'un ou l'autre personnage, certains romans, mettant en scène des salopards, ont réussi à m'emporter, à me faire vibrer et ici, que dalle, encéphalogramme plat, idem pour le rythme cardiaque.

Je lisais et je m'ennuyais. Rien ne me semblait vraiment réaliste et alors, j'ai sauté des passages, pensant trouver mon compte plus loin, mais peine perdue, jusqu'au bout, le roman m'a laissée de glace.

L'autrice avait 17 ans lorsqu'elle a écrit ce texte (elle en a 19 maintenant), sans doute que son jeune âge se ressentait trop dans son écriture, qui m'a parue un peu trop mature, rendant le récit prévisible à 100 km de distance, le tout sans demi-mesure, tout le monde des flics étant pourri, corrompu et tous les hommes sont des salauds…

Ok, une partie l'est certainement, mais un peu de nuance n'aurait pas nuit au récit.

Tiré d'un fait divers réel, ce roman, contrairement à la majorité, ne m'aura pas emporté…
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Je remercie chaleureusement les éditions Albin Michel et sa collection "Terres d'Amérique" pour cette cette lecture ainsi que pour leur confiance.
Leila Mottley est une auteure afro-américaine très remarquée par la critique littéraire aux Etats-Unis. "Arpenter la nuit", Leila l'a pensé et écrite alors qu'elle n'avait que dix sept ans. Quand on se plonge dans ce roman on ressent ce cri de douleur d'une communauté afro-américaine pour qui le principe d'égalité devant la loi, la Constitution, n'est encore pour beaucoup d'entre eux, qu'une vaine chimère. Etre noir aux Etats-Unis, c'est dès son départ dans la vie, un manque cruel de reconnaissance et de chance de réussir dans la vie. Ceux sont des chances accrues de finir en prison, de se détruire avec la drogue pour oublier un contexte social et économique très difficile. Lelia Mottley aborde toutes ces thématiques avec une acuité saisissante. Son histoire est celle de Kiara, dix-sept ans et de son frère Marcus. Ils vivent dans un immeuble insalubre d'East Oakland, ghetto noir où se côtoie toutes les misères. La mère de Kiara et Marcus est emprisonnée, leur père est mort et il a subit lui aussi une longue peine de prison pour avoir été proche des Black-panthers. Il n'ont plus de famille. Marcus, l'aîné, se plonge dans la musique reine, le rap des ghettos, la musique comme échappatoire pour crier sa colère à la face du monde. Malheureusement, non seulement Marcus n'a pas le talent nécessaire pour percer dans ce milieu, mais gravite autour de lui des paumés qui deal pour vivre. Kiara est la seule qui travaille. Mais ce n'est pas suffisant pour payer le loyer vu que Marcus est incapable de trouver du travail. Il y a bien cet ami de son frère qui l'aime mais Kiara, elle, le voit comme un ami. Il est néanmoins là et puis il y a ce petit garçon d'une voisine accroc au crack. Une mère défoncée qui ne revient presque plus chez elle, laissant son enfant seul pendant plusieurs semaines. Une triste réalité. Kiara protège cet enfant qui lui fait oublier le drame de son existence. Kiara arpente la nuit, elle n'a pas d'autres choix que de se prostituer, la nuit, avec des hommes qui abusent d'elle alors qu'elle n'a que dix sept ans. La description des passes fais d'autant plus mal, qu'ici on nous ne sommes pas voyeur, tout est métaphorique, tel un cauchemar où l'on mesure la souffrance de Kiara. Leila Mottley choisit une description des conséquences psychiques, du dégoût de Kiara pour son corps, pour ce qu'elle est contrainte de supporter, ces hommes qui ne voient en Kiara qu'un objet sexuel, un corps jetable. Elle n'est rien pour eux. Cette plongée dans la rue, dans cette réalité sordide de la rue fait profondément mal au coeur. Comment se reconstruire après avoir été abusée, violée à un âge aussi précoce. La pauvreté, l'absence d'issue pour s'en sortir, le manque d'estime de soi, d'une enfant sans parent. Et puis un jour, la descente aux enfers se poursuit lorsqu'elle rencontre une patrouille de police. Rarement un roman ne m'aura autant percuté tel un coup de poing en plein coeur. L'écriture est sublime et poétique, elle nous prend aux tripes avec une telle force que je dois bien reconnaître avoir essuyé des larmes. le supplice de Kiara et puis cette rédemption en la personne de cet enfant auquel Kiara se reconnaît. Tout l'amour, la tendresse, la gentillesse qu'elle offre à ce petit bonhomme qui lui permet de ne pas plonger définitivement. le mal rôde dans les rues de Californie à East Oakland. La description de la jungle que peut-être la rue est poignante. Kiara est une victime mais il lui faudra un long cheminement pour l'accepter. Son dégoût qu'elle éprouve pour ces hommes qui l'abusent, pour elle-même. Un roman sombre, magnifié par une forme de poésie, de réalisme avec une pointe de mystère, une plongée dans la psyché de Kiara et de tous ces oubliés crevant dans la rue, elle qui dévore tout les êtres arpentant la nuit. le sordide côtoie l'amitié inaltérable entre cet enfant et Kiara, perçu par ce petit être comme une maman de substitution. Un roman qu'il faut absolument découvrir en cette rentrée littéraire. Un coup de coeur. le roman s'intitule "Arpenter la nuit" de Leila Mottley paru en cette rentrée littéraire chez Albin Michel dans la collection "Terres d'Amérique" dirigée par Francis Geffard.

Lien : https://thedude524.com/2022/..
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Orphelins de père, abandonnés par leur mère brisée par la vie et perdue dans les méandres de son désespoir, Kiara et Marcus se serrent les coudes tant bien que mal, vivotant de petits boulots et de menus larcins.
Seulement âgée de 17 ans, Kiara n'a déjà plus de perspectives pour l'avenir qui s'annonce plus qu'incertain.
Cela fait des mois que Marcus s'est pris à rêver de gloire, à l'instar de leur Oncle Ty qui est devenu millionnaire en perçant dans le monde du rap.
Mais voilà, l'oncle Ty vit loin d'ici et les rêves ne paient pas les loyers. Tandis que Marcus s'enlise dans son monde imaginaire, la menace de l'expulsion se fait de plus en plus réelle.
Kiara décide de se battre pour sauver le foyer dans lequel elle a vécu au sein d'une famille illusoire, pour être l'adulte capable de s'occuper de Trevor, le petit voisin de 9 ans, abandonné par sa mère, tombée dans l'abîme de la drogue.
Difficile de ne pas se faire happer par la rue et l'argent facile qu'offre les trottoirs d'Oakland. Kiara n'a que sa beauté et sa jeunesse qu'elle accepte de sacrifier pour survivre, loin de se douter qu'une arrestation va la précipiter dans un terrible engrenage.

Tout n'est pas complètement noir dans cet univers impitoyable où la violence fait force de loi : il y a cette romance avec sa copine Alé, les souvenirs d'enfance avec son frère Marcus, les moments partagés autour du panier de basket avec Trévor, les coups de pouce des filles de la rue, empêtrées dans une vie dont elles n'arrivent plus à sortir, les condamnant à la mort ou à la prison et surtout le pardon possible envers sa mère, preuve qu'une rédemption est toujours possible.

Premier roman coup de poing d'une jeune autrice de 19 ans dont l'excellente plume se révèle incroyable de justesse.
Se basant sur un fait divers, Leila Mottley, également originaire d'Oakland, nous brosse le portrait sans concession d'une Amérique décadente et misérable, bien loin du rêve américain que le soleil de Californie pourrait nous inspirer. le réalisme brut dont le récit est empreint le rend sombre et dérangeant mais profondément humain.
A travers le personnage purement fictif de Kiara, Leila Mottley tient à mettre en lumière la vulnérabilité et l'absence de protection des femmes de couleur dans les affaires mettant en cause des policiers.
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On lui répète qu'elle avait le choix, qu'elle aurait pu faire autrement, on la regarde, on la juge. le sexe, ce n'était pas une fin en soi. Facile. Kia pourtant n'entrevoit pas d'autre solution. Il faut se nourrir, s'occuper de Trevor, le petit voisin, dont la mère défaille, assurer ses arrières, pallier la détresse. Kia n'a pas atteint la majorité mais son frère traine ailleurs, son père est mort, sa mère est incarcérée dans un centre pénitentiaire psychiatrique. Alors le sexe fait rentrer de l'argent même s'il faut tout endurer. Les flics d'ailleurs en profitent ; ripoux, ils imposent. Les lieux, le temps, la violence.
Portrait inspiré de la vie réelle, de l'actualité, de faits sordides, « Arpenter la nuit » décrit la misère d'une jeune fille noire livrée à elle-même. Il faut payer le loyer, manger, survivre. Que vendre si ce n'est ce qui rapporte ?
Les mots sont durs, le récit insoutenable tout en étant indispensable. On ne peut garder les yeux secs et clos. Cette vie reflète une réalité dont on ne peut ignorer l'ignominie. Non. Ici ou ailleurs la misère ébrèche les plus démunis, les minorités, les mal chanceux. Je refuse d'écrire « les plus faibles » car Kia n'est pas faible. Elle est au contraire tout ce qu'il y a de plus fort et de déterminé. Un courage vrai. Une force dans un monde de brutes.
Lisez ce livre !
Une lecture incontournable sur la vie vraie.

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Un premier roman percutant : avoir 17 ans et se retrouver sans ressources.

Les parents de Kiara sont absents, on apprendra peu à peu leur histoire. Son frère ainé est censé être responsable, mais il consacre toute son énergie à en faire de la musique pour devenir célèbre. Et en attendant la célébrité, il faut quand même payer le loyer.

C'est tout à fait par hasard que quelqu'un lui donne de l'argent pour avoir des relations sexuelles. Elle devra ainsi arpenter la nuit pour assurer sa subsistance.

Kiara est généreuse et s'occupe de son jeune voisin, mais elle risque aussi de tomber sur des mauvaises personnes qui vont vouloir exploiter ta faiblesse. Et même les policiers de la ville d'Oakland veulent avoir leur part.

Un excellent roman, une qualité de plume surprenante de la part d'une jeune autrice, avec beaucoup d'émotions et un bon niveau d'analyse sociale.
À découvrir!
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Kiara, 17 ans, et son frère Marcus, 20 ans, s'élèvent seuls depuis le décès de leur père et l'emprisonnement de leur mère il y a de cela trois ans, vivotant comme ils peuvent entre petits boulots et débrouille. Mais Marcus, lassé de cette vie sans éclat, rêve de rap et de gros son, convaincu que son talent lui ouvrira les portes de la célébrité… Kiara se retrouve ainsi seule à devoir gérer les loyers impayés, le frigo vide et les menaces d'expulsion de leur propriétaire.
Sans expérience professionnelle, sans diplômes et encore mineure, personne n'accepte de lui donner sa chance et la jeune femme se retrouve vite acculée, écrasée par un fardeau trop lourd à porter. Mais un odieux concours de circonstances va lui montrer que son corps a de la valeur et peut se monnayer… Commence alors un sinistre engrenage qui mêlera abus de pouvoir et scandale policier et l'entraînera dans une lente descente aux Enfers…

Ma lecture s'achève tout juste et j'en ressors complètement bluffée! Je suis impressionnée par le talent et la maturité de cette jeune autrice américaine qui, du haut de ses 17 ans, est capable de donner une voix si juste et si puissante aux femmes victimes de violences ainsi qu'aux minorités, voix qui risque de résonner longtemps en moi et, je l'espère, chez tous les lecteurs!

Pour son premier roman, Leila Mottley s'inspire d'un scandale survenu dans sa ville d'Oakland en 2015, scandale fortement médiatisé mais qui n'est que la partie visible de l'iceberg et qui laisse imaginer des victimes qui resteront à jamais anonymes mais s'avèrent néanmoins bien plus nombreuses… C'est avec beaucoup d'habileté et de sensibilité que cette jeune autrice se glisse dans la peau de son personnage. le résultat est une héroïne qui sonne incroyablement juste, prisonnière d'un système qui ferme les yeux et ne fait rien pour protéger ses citoyens, surtout quand ce sont des femmes, noires de surcroît… Avec la violence d'un uppercut, elle nous balance dans ce monde hostile, où l'égalité des chances n'existe pas et où la survie a pris le pas sur la vie. Un univers fait de violences (verbales, comme physiques), de drogues, d'injustices et de misère, duquel il est presque impossible de s'extirper… C'est sale (en témoigne la piscine à crottes), étouffant, angoissant, bref, ça prend aux tripes!

Néanmoins, en dépit de toute cette noirceur apparente, Leila Mottley parvient à créer des moments lumineux grâce à des personnages incroyablement attachants qui, s'ils semblent parfois résignés à accepter leur sort comme une fatalité, ne perdent pas pour autant espoir. Des personnages qui, même éclaboussés de boue, parviennent encore à rire et à aimer. Maintes et maintes fois j'ai été attendrie par la relation de Kiara avec Alé et Trévor, par leur capacité à saisir les instants de bonheur lorsqu'ils se présentent. Des personnages lucides, ancrés dans leur réel, mais qui gardent la force de se battre et de ne pas se laisser bouffer là où plus d'un aurait baissé les bras... “Arpenter la nuit” est un premier roman puissant et bouleversant, qui nous entraîne avec lui dans les rues sombres d'Oakland et laisse derrière lui une trace indélébile…
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Il n'y a pas vraiment d'adultes au début du récit dans l'univers proche de Kiara, la narratrice fictive. D'adultes responsables du moins, prêts à prendre en charge ses 17 ans et son entrée future dans la vie active d'une afro-américaine d'East Oakland. Kiara nous fait ainsi découvrir « un cadre vide dans lequel se trouvait autrefois la photo de maman », nous parle d'un père et sa « mort rapide qu'on a trouvée particulièrement lente » , d'Alè son amie « qui a toujours eu des rêves immenses et une petite vie », avec qui elle s'invite tous les deux mois à un enterrement pour se goinfrer et piquer des fringues. Et puis une voisine toxico avec son fils Trévor aussi, et le frère aîné de Kiara, Marcus, qui préfère le micro des studios plutôt que d'affronter la ville, qui avait pourtant juré de devenir l'adulte de la maison quand la mère était sortie de son cadre. Mais Oncle Ty a sorti un album de rap entre temps, alors Marcus rêve de lui emboîter le pas. L'adulte prête à prendre en charge l'augmentation du loyer au Régal-Hi avec sa piscine pleine de crottes, ça serait plutôt Kiara finalement, les 18 ans approchent, et il est temps de trouver un job pour s'en sortir.
Il n'y avait pas vraiment d'adultes mais c'était peut-être mieux ainsi, se dira-t-on plus tard. Ceux qui s'approchent ne sentent pas bon la confiance, même s'ils en portent parfois la panoplie. Une visite dans un bar où l'ex de Marcus lui fait espérer un job mais l'imbibe de verres à la place, et voilà Kiara bientôt prête à la funeste décision par l'entremise des oeillades insistantes de Cravate à Pois : « J'ai un corps et une famille qui a besoin de moi, alors je me suis résignée à faire ce qu'il faut pour nous garder ensemble : je suis allée retrouver la rue et tout son bleu.»
Si le présent de Kiara s'organisera ainsi au gré de ses virées nocturnes, on remontera aussi dans le détail l'histoire de la petite famille, avec des fulgurances dramatiques et poignantes, saisissantes d'effroi ou d'émotion, entrecoupées de parenthèses de tendresse avec Trévor, dans un cocon aménagé sous menace d'expulsion. Jusqu'au final, bouleversant, le lecteur lancé à toute berzingue dans une histoire prenante, inscrite dans « l'invisibilité » des violences policières envers les femmes afro-américaines.

Leila Mottley dit s'être inspirée d'un scandale policier à Oakland, quand elle avait 15 ans. Elle s'est attelée à l'écriture de ce roman deux ans plus tard, sous la forme du récit d'une victime fictive, Kiara. Il ne fait guère de doute qu'elle a trouvé (et habité) sa narratrice, on est sous emprise de bout en bout par le récit plein de justesse et de singularité de Kiara. Un récit sensible porté par la voix de ceux qui sont devenus « trop grands pour eux-mêmes », émaillé d'éclats de poésie à la fraîcheur adolescente, des éclats lumineux comme des refuges illusoires au monde hostile des grands, comme des nuages d'évasion face aux responsabilités déjà trop lourdes. Une voix qui tutoie les grands personnages de roman aussi, à la fois unique et typique, dont on se souvient, qui trace son sillon avec un souffle, un ton et la singularité d'une âme certes en souffrance, mais aussi juste et profonde.

Reste à se demander si la voie de la jeune romancière de 19 ans – déjà primée encore plus jeune pour sa poésie, aujourd'hui la plus précoce sélectionnée de l'histoire du Booker Price (en cours) – est toute tracée vers celle des grandes, tant ce roman fascine par sa puissance et sa maîtrise, et a fasciné Outre-Atlantique. En attendant, il est possible qu'il fasse aussi parler de lui de ce côté-ci de l'Atlantique, lors de la rentrée littéraire française.

« Et se laisser attraper par la rue, ça revient à organiser son propre enterrement. Moi je voulais
des lampadaires étincelants et quelques billets au réveil, pas les allées sombres, pas les sirènes. Mais voilà. On finit toujours par se retrouver en plein jour, pile au moment où on s'y attend le moins. La nuit rampe jusqu'à moi quand le soleil est là. »
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Un roman coup de poing, magnifiquement écrit par une adolescente de 17 ans.
Arpenter la nuit de Leila Mottley est au départ une histoire vraie, aucun étonnement de ma part, je pense que très peu de personnes s'intéressent vraiment aux dames de la nuit.
Pourquoi font-elles ça ? Comment sont elles arrivées là ?

Kiara, 17 ans vit en Californie, à Oakland, entouré de pauvreté, dans un logement social avec son frère Marcus.
Le décès de leur père après un séjour en prison, leur mère en centre de réhabilitation suite aussi à un passage derrière les barreaux, manque de revenus, mises en demeure collées sur leur porte, un frère qui ne veut pas travailler et qui pense réussir dans le rap, Kiara se demande comment elle va payer les factures et les nourrir.
A part quelques heures dans un bar, elle ne trouve pas de boulot. Elle s'occupe aussi de Trevor, un gamin de neuf ans, le fils de sa voisine toxicomane, qui l'abandonne durant des semaines.
Ne sachant plus vers qui ou quoi se tourner, elle pense glisser vers la facilité, en pratiquant la prostitution.
Quelques passes faciles, juste pour payer ses factures, en faisant abstraction de ses sentiments et de son corps qui est seulement un morceau de chair.
Mais le monde de la nuit est terrible, surtout venant d'hommes qui doivent protéger et aider leurs concitoyens est innommable. le chantage, impossible de dire non.

C'est une jeune fille forte, qui ne baisse jamais les bras, même dans les moments de désespoir, de violence. Elle est admirable, malgré ses décisions, nous pouvons que la suivre et espérer un coin de ciel bleu.
C'est criant de vérité, de nombreux passages marquants et forts, malgré la laideur de sa vie et de son entourage.

Je vous le conseille fortement, vous ne serez pas déçu.
Je remercie, Kirzy, Yvan_T, qui m'ont donné envie de le découvrir ainsi que tous les babelamis qui l'ont aimé.
Bonne lecture à tous.
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