Les décorateurs, les artisans français, épris d'idées modernes ont fini par vaincre les préjugés, l'entêtement, la résistance obstinée de l'élite sans l'approbation ou, pour parler plus net, sans la collaboration de laquelle, même à une époque démocratique comme la nôtre, il est impossible qu'un style se crée—élite fort nombreuse, d'ailleurs, aux yeux de qui, jusqu'à ces derniers temps, se permette seulement de trouver ridicule et anachronique, que des Français et des Françaises, contemporains de la T. S. F., de la locomotion automobile et de la phototélégraphie vécussent dans des décors, parmi des meubles, des objets d'art, des objets usuels, vrais ou faux du XVIIe et du XVIIIe siècle, ne constituait rien de moins qu'un crime de lèse patrie.
Un peintre qui brosse des toiles destinées à être accrochées, encadrées d'or, sur des murailles quelconques, un sculpteur qui modèle des statues sans s'inquiéter du milieu où elles seront placées, il n'y a point d'inconvénients pour eux ni pour nous, après tout, qui sommes devenus si peu exigeants, à ce qu'ils œuvrent dans la cage de verre d'un individualisme distant et orgueilleux, et il faut constater qu'il n'en va guère autrement depuis la fin de la Renaissance et que cela ne les a pas empêchés de produire des chefs-d'œuvre; ils ont le droit de n'avoir pour principes que leur fantaisie propre, pour discipline que leurs caprices, pour idéal que l'expression de leur sensibilité.
« Une société d'artistes vient de se former disait, en 1861, William Morris dans le but de produire des œuvres d'art appliqué d'un caractère artistique et à des prix peu élevés; ils ont résolu de se consacrer à la production d'objets utiles auxquels leur intention est de donner une valeur d'art ». — Et ailleurs : « L'art doit être fait par le peuple et pour le peuple, et donner de la joie aussi bien à celui qui le pratique qu'à celui qui s'en sert. » Ainsi s'exprimait, il y a soixante ans, le grand décorateur-poète dont l'œuvre et la prédication ont engendré dans notre vieille Europe la renaissance des arts décoratifs à laquelle nous assistons.
En architecture, en art décoratif, une commune manière de sentir, de comprendre, d'interpréter la vie et, en même temps, de la servir, de façonner l'inerte matière pour créer les décors d'apparat ou de nécessité, de luxe ou d'intimité où les hommes puissent vivre selon leurs goûts et leurs besoins, en «conformité avec les moeurs publiques et privées, a donné naissance à ce que nous appelons après coup, quand le recul du temps permet d'en dégager les caractères dominants, un style.
Notre suprématie dans les Arts et dans l'Industrie sera bientôt contestée sur plus d'un point : elle est déjà menacée partout... L'originalité de l'Angleterre, l'habileté de la Belgique, la persévérance réfléchie de l'Allemagne, la hardiesse des États-Unis et, en tous pays, des moyens d'éducation artiste qui ne laissent sommeiller aucune faculté, sont autant de batteries dirigées contre notre école d'architectes, de peintres et de sculpteurs.