- Si tu me parles de ça, Marcel, c'est peut-être que... tu connais quelqu'un qui est paralysé, c'est ça ?
- Non, pourquoi ?
- Pour rien... Je croyais...
- Non, non.
Ma déception est vive, je dois l'avouer. Un Marcel miniature cloué sur un fauteuil à roues m'aurait bien convenu à cet instant. Dommage. L'intensité dramatique de notre promenade chute d'un coup. Marcel le sent et tente de la restaurer :
- Et toi ? Tu...connais quelqu'un ?
Je suis à deux doigts d'inventer un paralysé dans ma famille afin de sauver ce qui peut l'être encore, mais il n'y a rien chez nous qui s'en rapproche : à la maison nous trottons tous comme des lapins. Il vaut mieux être franc :
- Non, moi non plus, je n'en connais pas.
- C'est quoi l'essentiel ?
- C'est le nœud que tu as dans la gorge à l'instant, l'envie de pleurer, le chagrin... Je n'ai jamais oublié... (p.119)
J'aimerais pouvoir t'aider davantage : te corriger quand la mémoire te fait défaut, combler le vide de tes oublis. Mais ma voix ne franchit pas la distance qui nous sépare. Entre toi et moi il y a la moitié de notre vie (de la tienne passée et de la mienne future). (p.117)
Un interne nommé Landreau arrive en cours d'année. Il dit "ce tantôt" au lieu de "cet après-midi". Il vient de l'Ouest, de Cholet exactement. (p.110)
Il pique soudain une "crise de calme" (terrifiant). (p.105)
Quelques semaines plus tard, j'avoue à mon frère, penaud : tu as été puni à ma place. mes craintes de représailles sont balayées aussitôt : Non solum il ne m'en veut pas, sed etiam ça le fait marrer. (p.67)
Je fais du latin. Nominatif, vocatif, accusatif, génitif, datif (mon préféré) et ablatif. Mon deuxième frère, qui en fait aussi, n'est guère brillant mais il a retenu cette expression : non solum, sed etiam (non seulement... mais encore), qu'il utilise volontiers. Il dira par exemple en jouant aux billes : Non solum je dégomme celle-ci qui gêne le passage, sed étiam je place la mienne. (p.66)
De cette pitié particulière et étonnée qu'éprouvent les enfants au spectacle de l'adulte désarmé. (p.55)
Il y a dans l'étude du soir (quand le poêle fonctionne bien) quelque chose de l'étable et de la rumination. On sentirait presque la paille. C'est un moment de chaleur et de ventre. (p.48)
être interne, c'est être contraint de mettre dehors ce qui aurait dû rester dedans : le personnel, l'intime. (p.46)