Citations sur Le bonheur n'attend pas (90)
Je peux choisir de penser ça, ou je peux choisir de me raconter que je n’aurais rien pu faire pour changer ce qui s’est produit. Que si c’était Jason, ça se serait passé d’une façon ou d’une autre. Peut-être même d’une façon pire, souffla-t-elle en ravalant ses larmes. Je vais devoir croire ça, non ? Pour garder ma santé mentale. Pour être franche, je ne sais pas trop si ça va marcher.
Contrairement à tous les autres ; ma famille, mon mari… Moi aussi, parfois. Vivre dans l’ombre de ma mère. Cette boutique était le seul endroit où je pouvais être moi-même, avoua-t-elle en lissant un pli imaginaire sur son pantalon.
Elle n’avait encore jamais perdu personne. Elle se demanda, brièvement, comment sa famille aurait réagi à la mort de sa mère. C’était impossible à se représenter. Vivi avait été depuis si longtemps le noyau maternel qui les unissait que Suzanna ne parvenait pas à créer une image de deuil pour une famille qui existerait sans elle.
Il n’y avait personne à qui elle aurait le courage d’en parler. Pas ce soir, du moins. Ils firent en silence les dix minutes de trajet sous la lumière des lampes à sodium. Leurs pas résonnaient dans les rues désertes. Toutes les fenêtres étaient sombres, les habitants endormis dans une ignorance bénie des événements de la nuit.
Les gens gentils pensent toujours qu’ils sont responsables d’une manière ou d’une autre.
Elle accepta de communiquer tout ce qu’elle savait à l’inspecteur, à condition qu’il promette de lui dire la vérité sur ce qui était arrivé à son amie. Elle ne devait rien à Jason, après tout. Elle leur avait donc raconté, d’une voix précipitée, les blessures de Jessie, son attachement et ses réserves au sujet de son compagnon, sa décision de suivre une thérapie de couple. Redoutant de donner de Jessie l’image d’une victime, elle leur expliqua combien elle était déterminée, comme elle n’avait pas peur de Jason, et combien elle était aimée de presque tous dans cette petite ville.
Elle découvrit qu’il prenait son café noir, qu’il avait presque toujours faim, avec une préférence pour ce qu’il ne faudrait pas manger, qu’il pensait qu’on devrait toujours dire « madame » aux femmes, avec une déférence exagérée qui montrait qu’il n’y croyait pas vraiment.
Il avait préféré aller au pub. Il ne savait pas vraiment pourquoi il était venu ici. Peut-être parce que rien n’allait en ce moment. Les choses n’étaient plus sûres, comme autrefois. Pas Jessie, avec ses amis de la haute, ses livres, qui s’éloignait de lui chaque soir pour étudier, sans doute pour se construire un avenir sans lui. Pas Jessie, trop fatiguée pour venir rigoler au pub avec lui depuis qu’elle travaillait, toujours en train de blablater sur des gens qu’il ne connaissait pas, une fille du domaine Fairley-Hulme, qui se donnait des grands airs.
Je sais que tout le monde pense que j’adore flirter, mais en vérité j’appartiens à cette catégorie de bonnets de nuit qui pensent que chaque pot a son couvercle…
Elle était à la fois folle de joie et horrifiée de ce qu’elle venait de faire. Elle ne savait pas si elle pourrait gérer l’émotion qu’elle semblait avoir provoquée, le poids de ce petit mouvement qui menaçait de s’écraser sur elle.