C'est une absurdité de croire que les sentiments seuls ont le pouvoir d'effacer les mensonges et les trahisons.
C'est le grand drame des handicapés des sentiments : Ils ont l'impression constante de se faire violence et de dépasser leurs propres limites dans l'indifférence la plus totale, sans que personne ne leur sache gré de leurs efforts.
Les secrets ont leur rhétorique fallacieuse. Un secret n’est pas un mensonge par omission – conception trop facile et rassurante. Il est un négatif photographique, une réalité en creux ayant sa propre existence et qui le jour où elle est mise à jour peut tout dévaster, là où, révélée à temps, elle aurait sans doute blessé, mais de ces blessures dont on guérit. Sa force destructrice réside dans la dissimulation, plus que dans le contenu dissimulé. C’est ce qu’avaient refusé de comprendre mes grands-parents.
Je pris soudain conscience que j'appartenais à la dernière génération qui entretînt encore un vrai rapport de proximité avec la Seconde Guerre mondiale. A l'époque où j'étais lycéen, des résistants et des victimes des camps venaient nous voir dans les classes. Nous leur avions parlé, nous avions appris de vive voix "l'expérience de l'extrême" dont ils avaient été victimes. L'unicité de la Shoah ne faisait pour nous aucun doute. Je me rendais compte que dans quinze ou vingt ans, il ne resterait pratiquement plus aucun témoin direct de l'horreur de cette guerre et que, sans doute, ce conflit finirait par devenir dans les esprits semblable à tous les autres.
Les choses ne disparaissent pas si on les ignore; une leçon d'apprise. Peut-être les leçons doivent-elles parfois faire mal pour qu'on les retienne pour de bon.
Le but de ces maternités était bien de donner naissance à des enfants parfaits selon les critères nazis?
- Oui, mais sous des apparences scientifiques, leur méthode restait très empirique. Ce que je veux dire, c'est que la quasi-totalité des femmes qui intégraient ces centres étaient enceintes à leur arrivée
Certaines choses sont trop pénibles pour être appréhendées sur le coup. Ce n'est que plus tard, dans la solitude, le souvenir, que pointe la compréhension; quand les cendres sont froides, qu'on regarde autour de soi pour se retrouver dans un monde entièrement différent.
- Si vous êtes ici aujourd'hui, c'est que vous connaissiez l'existence des lebensborn.
J'acquiescai.
- Les "haras humains" tentai-je de résumer.
- C'est l'image un peu caricaturale qu'on a longtemps donnée des lebensborn. En réalité, il ne s'agissait pas du tout de lieux où des soldats auraient "fécondé" des Aryennes pour donner naissance à des enfants blonds aux yeux bleus.
Tout cela tient de la légende.
- Le but de ces maternités était bien de donner naissance à des enfants parfaits selon les critères nazis?
- Oui, mais sous des apparences scientifiques, leur méthode restait très empirique. Ce que je veux dire, c'est que la quasi-totalité des femmes qui intégraient ces centres étaient enceintes à leur arrivée.
J'ai enchainé les aventures sans lendemain, les liaisons aussi vives que passagères... Jusqu'à ma rencontre avec Laurence. Sur mon échelle de Richter des sentiments, elle fut dans ma vie un séisme dévastateur.
Les choses ne disparaissent pas si on les ignore; une leçon d'apprise. Peut-être les leçons doivent-elles parfois faire mal pour qu'on les retienne pour de bon.
R.J. Ellory, "Seul le silence"