Trois femmes abusées, humiliées mais qui conservent au plus précieux d'elles-mêmes l'essence de leur être, leur humanité.
C'est un roman riche que l'on pourrait aborder sous des angles multiples. Sa construction en trois parties tissent une tresse à trois brins . Dans la seconde partie, Fanta demeure à l'arrière-plan, elle est la femme de Rudy Descas qui traverse au long de cette journée caniculaire de la région bordelaise "un grand effondrement". En un long monologue, il nous livre les drames de sa vie et la façon dont il a entrainé Fanta dans cet enchainement mortifère et destructeur.
Dans cette partie du roman, comme déjà dans la première partie, la magie a une part.Ce que je nomme magie est une logique autre qui m'est étrangère mais semble signifiante pour les protagonistes de l'histoire. Quand Norah revient chez son père dans un pays d'Afrique, elle le trouve perché sur un flamboyant, et ce père apparait comme une figure maléfique. Si le lien qui l'attache à cet arbre demeure pour nous énigmatique mais signe quelquechose de son personnage qu'il faudra toute sa foi dans la vie pour que Norah ne se laisse pas décourager.
Mais c'est aussi cette buse qui au fil de la journée vient signifier quelque chose à Rudy, cette buse qu'il reçoit comme un émissaire de Fanta l'attaque, le réveille, le conduit vers la conscience de sa vie et le rend acteur, enfin. Ce long monologue de Rudy nous livre l'intime d'une pensée qui affronte sa vérité aux limites de basculer dans la folie.
Sans que nous puissions reprendre notre souffle, notre équilibre,
Marie Ndiaye nous embarque dans un troisième récit. Khady Demba dans son "inaltérable humanité" ne possède rien d'autre que son nom pour traverser une vie sans fond. La magie ici, à l'ultime page du roman, apparait sous la forme d'un oiseau, encore.
Mais ce qui est puissant dans ce roman, c'est la détermination qui pousse
Marie Ndiaye à construire des représentations de ce qui sinon, resterait pour le lecteur irreprésentable. Ainsi, à l'instar de Norah, Fanta et Khady Demba, ces trois femmes soumises au destin mais fortes et puissantes et riches de leur désir de vivre, nous, lecteurs, prenons la mesure de ce que notre commune appartenance à l'humanité suppose.
A ce titre,
Marie Ndiaye écrit un grand roman où l'imagination nous rend semblable ce qui nous est étranger pour paraphraser
Pierre Fédida lorsqu'il écrit dans "humain/deshumain" (PUF Petite bibliothèque de psychanalyse) : "l'humanité implique une capacité d'imagination chez le thérapeute. (...) Imaginer, c'est imaginer dans la communication avec le semblable, imaginer grâce à la communication avec le semblable"