La Société des belles personnes

Zohar examina longuement chaque image, la retournant, la parcourant du doigt. Il connaissait si peu le christianisme; les seules images pieuses qu'il avait croisées en Egypte étaient les icônes des églises coptes, tellement stylisées. Celles-là étaient certes précieuses, raffinées, mais statiques; elles avaient plutôt la beauté des bijoux. Alors que celles de Livia étaient pleines de sentiments, elles respiraient la vie. C'était comme du cinéma !

La vie pouvait recommencer de zéro ! Il ne savait pas, l'innocent, que lorsqu'on croit recommencer, on ne fait que répéter, et parfois, ce sont de très anciennes histoires.

Ils avaient commencé à s'en prendre aux biens étrangers, les banques internationales, les bureaux des grandes compagnies, les grands hôtels; aux lieux de plaisir, les clubs sélects, les cinémas, les brasseries; aux grands magasins; aux demeures des bourgeois...Et, comme toujours, depuis des temps immémoriaux, aux Juifs !

Ce samedi 26 janvier, que l'on appelait désormais The Black Saturday, "Le samedi noir", avait démontré une fois de plus que le peuple égyptien, placide et soumis, n'était qu'eau dormante dans le cratère d'un volcan.

Il y avait aussi cette rébellion militaire , qui se faisait appeler les "officiers libres", menée par le bikbachi, le lieutenant-colonel, le beau Gamal Abd el-Nasser, qui avait noyauté l'armée... Elle aussi avait préparé le terrain. Si bien que pas une seule unité ne s'était opposée aux manifestants, ni l'armée ni la police.

Huit mois plus tôt, le samedi 26 janvier, Le Caire avait brûlé. Nul ne savait qui l'avait embrasé. Les syndicats antibritanniques noyautés par le parti "Jeune Egypte" avaient certainement mis le feu aux poudres. Mais la confrérie des Frères musulmans, qui voulait se venger de l'assassinat de son fondateur, le Cheikh Hassan el-Banna, société secrète forte de deux millions de membres, avait préparé le terrain de longue date. Elle avait infiltré le petit peuple des grandes villes qui s'était répandu comme un seul homme, dès qu'on lui en avait donné le signal.

Sans doute étaient-ils arrivés d'ailleurs, ceux qui ont fondé Naples, d'un endroit où l'on parlait grec. Naples, Napoli en italien, du grec Neo Polis, "nouvelle cité", celle d'où tout peut recommencer et repartir le monde.

Il est parti comme on dit de nos anciens, de nos patriarches : "rassasié de jours."

L'Allemagne nazie est vaincue militairement. Où que survive son esprit, c'est lui qu'il faut traquer et vaincre, maintenant.

Valeurs. Revue de critique et de littérature, Le Caire, n°2, juillet 1945

Un rêve se comprend avec l’âme limpide comme l’eau de la source, ni avec la peur ni avec la violence. La clé du rêve, écoute encore, n’est pas dans le cri que pousse le rêve, l’image bouleversante qui reste en mémoire, mais dans le détail qui la prépare ou la présente.