La blessure de
Jean-Baptiste Naudet
Un visage à peine sorti de l'enfance, un chapeau de brousse, dont les rebords sont relevés, par une lanière plate, une chemisette col ouvert sur un médaillon, à son épaule en bandoulière la crosse d'une arme automatique, que j'identifie comme un pistolet mitrailleur MAT 49. C'est ainsi que je vois sur l'étagère de notre petite bibliothèque de Campagne ce livre en couleur gris et orange :
La Blessure de
Jean-Baptiste Naudet. Nous sommes en 1960 le 9 juin il est 9 heures. le sergent Robert Sipière du 7e bataillon de chasseurs alpins, patrouille dans le djebel de Djurdjura en Grande Kabylie sur le sol Algérien. « Au détour d'un rocher, Sipière entend du bruit dans les broussailles. IL croit avoir vu bouger les branchages devant lui. le poison de l'adrénaline lui serre brutalement le coeur. Son doigt se pose sur la détente du PM. Trop tard, Sipière se mange en plein bide un coup de fusil de chasse du fellagha embusqué au milieu des fourrés. La décharge de chevrotine lui déchire le ventre, il pousse un cri sec. Renversé comme un fétu de paille, il est au tapis. Ça pisse sérieux du rouge, dehors et dedans, aussi. Est-ce parce qu'il s'est blessé la veille à la main qu'il n'a pas tiré assez vite ? Sa MAT49 arme de point des voltigeurs a craché à coup secs à vitesse supersonique à près de six-cent coups la minutes, un chargeur entier de 32 balles de 9mm parabellum. Un massacre à cette distance. le jeune fell, âgé de 15 ou 16 ans à peine est presque coupé en deux. Il tient ses tripes sanguinolentes dans ses mains. Son visage est tordu par la douleur, mais lui non plus ne crie pas. » A la radio le capitaine demande au QG un hélico pour une évacuation immédiate. Il est 12h25, le souffle des pales, le bourdon d'acier décolle ? le Sergent Robert Sipière sourit comme un enfant malade, il frisonne. « Nature berce-le chaudement, il a froid. Il est 12h30 le chasseur Alpin expire dans les airs. Adieu Robert, Adieu Mon vieux Robert. » C'est quelques phrases, je les écrits alors que brusquement mes yeux se mouillent et me revient en tête le poème le dormeur du Val, appris il y a bien longtemps en classe primaire. A Paris, la fiancée
De Robert est dévastée. Danièle gardera toute sa vie ces lettres, que vous lirez vous aussi, avant qu'elle ne sombre dans la folie. Dès années plus tard, son fils Jean-Baptiste devient un reporter de guerre. Pourquoi ? Alors qu'il voit jour après jour sa mère décliner, affronte-t-il l'horreur des conflits dit actuels. A tant fixer la mort dans sa pellicule, la folie le guette à son tour. L'on dit maintenant qu'il souffrirait d'un syndrome post-traumatique. C'est en découvrant la correspondance de sa mère Danièle et de ce jeune sergent Robert Sipière, son premier fiancé, mobilisé en Algérie, qu'il comprend, qu'il est prisonnier d'un destin qui n'est pas le sien. Dans ce roman trois vies seront sacrifiées. Trois vies qui ne sont qu'une même blessure. Ce récit va beaucoup plus loin qu'une belle romance entre un sergent et sa fiancée. C'est aussi une mise à nu de la guerre d'Algérie, avec tout son cortège d'horreur commis de part et d'autre. Les descriptions que vous lirez sont insoutenables. C'est aussi une réflexion sur ces soldats français, envoyés dans leur jeunesse, sur un territoire qu'il ne connaissait pas quasiment la fleur au fusil. Qui vont devoir se battre, jour et nuit dans des conditions dantesques à la demande des autorités françaises, contre d'autres jeunes qui n'avaient qu'une volonté, celle de vivre dans leur pays. Au-delà de ce conflit,
Jean-Baptiste Naudet, comme correspondant de guerre, nous fait vivre de l'intérieur les guerres des Balkans, de Yougoslavie, du Rwanda, du Cambodge, avec force détail, faisant osciller le bien et le mal. La guerre d'Algérie est toujours restée en mémoire de ceux qui ont été appelés à servir. Elle reste une plaie béante pour beaucoup d'anciens combattants, très souvent mutiques sur ce qui s'est passé là-bas. de par les lettres de Danièle et
De Robert, bien que censurées par les autorités militaires, avant d'être délivrées à leur destinataire, le voile se déchire sur ces troupes de l'armée Française qui ont violé, tué, massacré torturé en toute impunité. Les faits dans les rapports étant toujours édulcorés. Robert lui parle à Danièle, de l'Algérie de sa culture, de ses paysages dignes du jardin d'Eden, noyés dans le carnage du sang. du dualisme de l'homme qui en raison des circonstances devient criminel alors qu'avant de partir il n'aurait pas fait mal à une mouche. de la dignité et l'honneur de ses hommes fiers et courageux qu'il devait combattre. du corps de ses femmes utilisés pour le repos du guerrier. de la jeunesse, de la vie de la liberté de ce peuple avant leur arrivée. « C'est la France qui, à ce moment-là, a tout sali, a sali aussi notre nom, qui est devenue hors-la-loi, et qui est à l'origine de l'abomination perpétrée. Nous sommes inéluctablement coupables, « écrit-il. En 2005
Jean-Baptiste Naudet, achète un cahier de brouillon « supérieur sur lequel dit-il j'écris Cahier de reportage sur moi-même. » Il part alors sur les traces de Robert Sipière, le premier fiancé de sa maman, ami de Gilles son père. Les parents de Robert Sipière sont morts, un demi-frère Jean-Paul Rond est retrouvé en Haute-Savoie. Dans cette quête, afin de chasser ses démons qui l'emmène vers la folie, chemin faisant,
Jean-Benoit se souvient des paroles de feu
Francis Deron, correspondant à Bangkok. « Tu sais quel est le seul bon reportage ? le seul bon reportage c'est celui dont on revient vivant. » A partir de cet instant dit-il « j'arrête mes conneries, d'accord maman, d'accord Francis et je sens que la Mort desserre son étau. » Ce roman se clôt sur une prochaine rencontre de Jean-Baptiste et de son père Gilles avec la famille du jeune fellagha qui a tué Robert et que Robert a tué. « Puisque la France ne s'excusait pas de ce qu'elle avait fait en Algérie, moi, j'irai là-bas leur présenter nos excuses » dit Jean-Baptiste. Alors mon père m'a dit : « Fils tu as raison, ta mère voulait que l'on s'excuse. Ta mère disait Algérie mon amour. Alors je viens avec toi en Kabylie. En attendant, voici ce livre comme une offrande, comme une supplique, comme un chant à la mort, à l'amour. Une étoile dans la nuit, une étoile qui n'a pas de nom mais une étoile qui ne parle que d'amour et qui ne doit pas mourir. » Robert Sipière ce n'est pas un fantôme, c'était un homme, juste un homme, un bel homme. le premier mai sur sa tombe
Jean-Baptiste Naudet, dépose un bouquet de muguet et de bleuets et pleure, pleure. Adieu Robert. Adieu mon vieux Robert Sipière. « Ces temps ont connu et connaissent encore de si horribles, de si gigantesques massacres, qu'il est presque inconvenant de vouloir sauver de l'oubli la jeune vie perdue d'un ami allé en Algérie dans une injuste guerre », conclu Gilles Naudet, père de Jean-Baptiste. Voici ce livre pour que l'on nous comprenne, pour que l'on nous excuse, pour que l'on nous pardonne. Algérie, notre amour. »
La blessure de
Jean-Baptiste Naudet est un roman fait de lettres, de récits de combats, de questionnements, qui j'en suis persuadé, ne va pas vous laisser indifférent. Oh Barbara, quelle connerie la guerre ! Bien à vous.