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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ils sont partis nombreux pour un service militaire qui allait se transformer en horreur, vers 1960, tandis que la France commençait à danser sur les rythmes des yéyés. Eux, on leur faisait danser une autre danse, celle de la mort, de la peur, de la torture infligée ou subie, des ventres qui se vident de terreur, des gamins de vingt ans envoyés défendre les intérêts coloniaux de la France.

Parmi eux, un jeune chrétien, instruit, devenu sergent : Robert Sipière. Il est parti après une seule nuit d'amour avec Danielle, la fiancée qu'il chérit et respecte, celle que, dans cinq mois, il va épouser. En attendant, ils s'écrivent des lettres tendres, intelligentes, sensibles. Il est nourri de Baudelaire, Rimbaud, Hugo. Danielle lui répond, l'encourage, l'aime par correspondance.

Et ce premier « roman » réunit la correspondance de ces deux amants fous d'amour, de jeunesse et d'espoir. Une autre voix vient s'intercaler : celle de Jean-Baptiste, fils de Danielle mais pas fils De Robert, tué le 9 juin 1960 dans le Djebel Djurjura, d'une seule balle. Son père, à lui, c'est Gilles, l'ami De Robert, qui épousera Danielle, l'inconsolée, et la verra s'enfoncer dans la dépression puis la folie . Gilles, admirable d'ouverture et de compréhension, qui donne toutes les lettres à son fils, pour qu'il raconte cette bouleversante histoire.

Jean-Baptiste est devenu reporter de guerre. Par quelle obscure filiation ? A son tour, il connaît la peur et les rapports humains épurés par l'urgence. A son tour, il sombre dans un grave trouble psychiatrique et se retrouve en HP.

Il est difficile de restituer l'intensité de ce livre. On peut dire qu'il y a une sorte d'incandescence qui en émane, force des sentiments et des actes, rien n'est doux et apaisé. sauf peut-être la fin, le retour en Kabylie, la tentative de réconciliation avec cette terre et ces gens qui ont, comme les soldats français, vécu l'horreur.

Un très beau premier roman, vrai à défaut d'être absolument véridique.
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Difficile d'entrer dans un roman très personnel, un roman qui raconte une histoire de famille, celle de Jean-Baptiste Naudet qui a vu sa mère sombrer dans la folie au fil des ans.

Jean-Baptiste a 10 ans (si mes souvenirs sont bons) quand Danielle, sa mère, lui parle d'un homme qu'elle a connu avant son mari, père de Jean-Baptiste. Robert.

Danielle et Robert vont échanger une correspondance enflammée, poétique, douce et tendre, amoureuse, pendant les quelques mois que Robert passera en Kabylie. Robert a vite le sentiment d'un gâchis en Algérie. D'une guerre impossible à gagner. Elle lui parle de ses études de pharmacienne, de la vie d'après, de ses mains, de son corps. Il lui parle des fellaghas, de l'ennui, de son quotidien sordide.

On peut s'étonner que la correspondance entre Robert et Danielle ait survécu à la censure des armées. Jean-Baptiste Naudet comble les vides avec un grand talent. Etre proche du sujet, c'est souvent manquer d'objectivité. Et clairement, l'auteur dérape parfois dans l'émotionnel, dans le détail familial inutile. Mais grâce à une écriture serrée, à la limite de l'elliptique parfois, il réussit à éviter les trop faciles effets de manche émotionnels.

L'auteur nous parle de la guerre d'Algérie, mais aussi de toutes les guerres. Elles se ressemblent toutes. Il a été correspondant de guerre, grand reporter, et le Timor, la Tchétchénie, les Balkans défilent aussi dans la tête de Jean-Baptiste, alors qu'il entame un cheminement vers sa mère (morte quelques années plus tôt) et ce Robert qu'elle a connu avant son mari.

Il m'a manqué du lien entre les époques. le patchwork monté par Jean-Baptiste Naudet est rempli de trous, de non-dits, de vides. Je n'ai pas trop adhéré à ce parti-pris. La concision du récit m'a souvent posé des problèmes. J'aurais voulu en savoir plus sur la vie après Robert. Sur les conflits couverts en tant que grand reporter. Sur la folie de Danielle... Roman trop court, pour moi.

C'est digne, humble, respectueux, décent. La notion de pardon domine celle de faute et de responsabilité. C'est franc et parfois cru dans le langage. Mais nécessaire.
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En se faisant reporter de la guerre d'Algérie plusieurs décennies après les faits, Jean-Baptiste Naudet nous replonge dans l'atrocité de cette guerre d'usure où torture et massacre sont les maîtres mots. Ajoutées à ces descriptions vivaces, les lettres échangées par Danielle et son fiancé, Robert, ne font que renforcer le sentiment d'injustice, de gâchis et d'inutilité de cette guerre contre les « fellouzes ». Dans ces lettres pleines d'innocence et d'espoir, les deux fiancés envisagent la fin de la guerre, prévoient leur vie au retour De Robert, alors même que celui-ci a bien conscience qu'il est probable qu'il n'en revienne pas. Un amour rendu impossible à cause d'un gouvernement français incapable d'assumer ses torts et de mettre un terme à cette guerre coloniale perdue depuis longtemps – le fardeau d'une génération traînée de guerre en guerre, d'Indochine en Algérie, pour la seule fierté d'un Etat français en mal d'empire.

Jean-Baptiste Naudet nous livre sans ambages ses traumatismes de jeune homme, face à une mère dévastée par un passé impardonnable et puis ceux, plus récents, nés de la culpabilité d'avoir condamné ou compromis tant de gens pendant ses reportages à haut risque. Il nous laisse entrevoir la réalité du métier de reporter de guerre, l'attractivité addictive du danger et la fatigue morale des situations impossibles. Il ne nous cache rien des difficultés rencontrées sur son chemin : la dépression violente et expansive de sa mère, sa propre descente aux enfers et ses épisodes d'internement pour tenter de lutter contre son syndrome post-traumatique. C'est un récit extrêmement personnel, un exorcisme de ce que l'auteur a vécu, une quête de sens pour retrouver l'origine de cette vocation inhabituelle, mais c'est aussi un récit à vocation universelle : un message de paix à destination des générations futures pour que jamais ne soient reproduites les atrocités de la guerre d'Algérie.

Mention particulière à Gilles Naudet, sans qui ce livre n'existerait pas, et qui synthétise brillamment son message dans les dernières pages – merci, vous m'avez émue aux larmes.
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Jean-Baptiste est grand reporter. Pendant trente ans, il couvre les conflits en Yougoslavie, Tchétchénie, Irak, Afghanistan, Bosnie, Kosovo ou Rwanda. Un jour, il vacille et se retrouve en hôpital psychiatrique. Sa dépression traumatique déclenche chez lui un besoin vital de comprendre. Et c'est ce qui va l'amener à écrire ce livre fait de destins croisés.
Le récit commence en janvier 1980. Les premiers mots sont : « Ma mère devient folle. » On est immédiatement plongé dans un naufrage moral. Personne ne comprend cette grave névrose, ni le père ni le fils.
Le livre de Jean-Baptiste Naudet est puissant, intense. Une lecture qui prend à la gorge, aux tripes, au coeur.
Il nous révèle rapidement le secret familial. « Ce jour-là, ma mère me raconte une étrange histoire. Avant de se marier avec mon père, elle avait été fiancée à un de ses amis. Il a été tué au combat pendant la guerre d'Algérie...Je n'ai pas compris non plus pourquoi on m'avait caché cette histoire pendant des années. » (p.27) Danielle, sa mère, n'a jamais fait son deuil, malgré son mariage avec Gilles, le meilleur ami de son fiancé.
Longtemps, Jean-Baptiste s'est identifié, inconsciemment, au fiancé de sa mère. Il doit aller à la guerre et y mourir. Ce n'est qu'après trente ans qu'il comprend que son histoire et celle de sa mère sont étroitement liées. Dans son enquête, il découvre les lettres que s'écrivaient sa mère et le sergent Robert Sipière. On y lit un amour bouleversant, poétique, et on voit aussi la lente métamorphose De Robert, non-violent, humaniste et généreux, qui se dénature peu à peu face aux atrocités de la guerre. Il sait qu'il ne pourra pas s'échapper.
Un livre en clair-obscur, tanguant entre tendresse et violence, entre amour et brutalité, entre l'Algérie au printemps 1960 et les conflits récents vécus par l'auteur. Et toujours la mort aux trousses.
Magnifique, sans concession, plein d'humanité et de respect, « La blessure » est un roman à découvrir !
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Un récit qui m'a profondément marquée, un réquisitoire contre la guerre né d'une blessure, celle de la mort De Robert, jeune appelé durant la guerre d'Algérie. Celui-ci était le fiancé de la mère de l'auteur, Danièle. Une blessure qui se transforme en folie lorsque les souvenirs de sa mère sont insurmontables.
Jean-Baptiste NAUDET subira cette blessure de plein fouet et partira sur des zones de guerre en reportage, frôlant la mort, narguant le danger, spectateur de tueries d'une sauvagerie inouïe. Il affrontera sa propre folie, interné à son tour pour affronter ses démons.
Pour remonter le temps et comprendre l'origine de ce gâchis, l'auteur publie les lettres échangées entre sa mère et Robert. Pour une fois, le conflit algérien est vécu de l'intérieur, et donne la parole à un jeune appelé, sacrifié comme beaucoup d'autres dans une guerre absurde et perdue d'avance.
J'ai rarement lu de telles pages, pas seulement émouvantes mais aussi terriblement lucides. Dans ses lettres à Danièle, Robert s'interroge et ses doutes résonnent en chacun de nous. D'un côté, il déborde d'amour pour Danièle, un amour qui le fait tenir. Mais il fait aussi le douloureux constat qu'il est capable lui aussi de tuer par peur, par réflexe, pour sauver ses camarades.
La guerre peut transformer chacun d'entre nous en tortionnaire ou une sorte de héros prêt à se sacrifier pour les autres.
Seul bémol à ce récit : à un moment, j'ai vraiment eu un trop plein de cadavres, de putréfaction, de tripes à l'air, de sang et de massacres, la lecture est devenue alors très éprouvante. Pourtant, je n'ai pas envisagé d'abandonner tant cette lecture est nécessaire.
Hasard du calendrier, j'ai commencé ce livre le jour même où le Président de la République reconnaissait la responsabilité de l'Etat français dans l'usage de la torture en Algérie ; une amorce d'excuses au peuple algérien qui permettra un travail de mémoire et de réconciliation.
Les derniers mots sont ceux du père de l'auteur ; ils résonnent fort comme une mise en garde adressée aux nouvelles générations pour les inciter à réfléchir sur la politique, les encourageant à protester à temps et résister à toute forme de barbarie.
Un texte remarquable tant les intervenants sont lucides et humains.


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La blessure c'est le témoignage éprouvant de l'auteur sur sa quête de l'origine de son mal-être et de la dépression de sa mère, c'est la correspondance pleine de poésie (agrémenté de Rimbaud, Barbara, Prévert…), d'amour et d'émotions entre Danièle et Robert et c'est le récit d'une guerre pleine d'atrocités. Humain, cruel, dur, La blessure entremêle les époques et les styles (épistolaire, autobiographique, « roman » pour témoigner de manière moins formelle qu'aurait pu donner le style journalistique...). C'est riche, très bien construit (la narration permet au lecteur de souffler entre deux scènes terribles sans en tronquer toute l'horreur d'une guerre honteuse) et d'une grande puissance romanesque..............................
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Beau roman, émouvant, bien écrit. Trois tragédies entrecroisées, la première expliquant les deux autres, dont l'entrelacement se suit bien dans l'ensemble. La narration se déploie essentiellement à travers la principale des trois séries de lettres ou récits : les lettres De Robert, appelé pendant la guerre d'Algérie, qui constituent la meilleure part du roman.
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L'amour, la folie, une guerre. Un tel sous-titre ne pouvait que laisser présager un livre écrit dans le sang et dans les larmes, d'une authenticité bouleversante, une aventure humaine extraordinaire, à laquelle je n'étais absolument pas préparée. Ce sont justement ces dernières qui sont les plus belles, les plus vraies. Ce sont celles aussi qui vous transpercent le plus le coeur de par leur vérité et la force de leur voix.

Au coeur meurtri, déboussolé mais aussi battant extrêmement fort et juste de ce livre, deux récits de guerres plurielles, deux destins séparés dans le temps et dans l'espace, et pourtant profondément liés par les sentiments et relations humaines, notamment par une étoile qui se prénomme Amour. La confrontation avec la Guerre est aussi le fil rouge de ce récit, qui va tisser ce dit lien d'apparence totalement inexistant mais qui est en réalité tout ce qu'il y a de plus évident et authentique, qui ne peut être nié ou brisé.

Ces deux destins, ce sont ceux, d'un côté, de Robert Sipière, tout juste vingt ans en 1960 alors que la guerre d'Algérie bat son plein ; de l'autre, celui de Jean-Baptiste, que l'on va suivre de l'adolescence à l'âge adulte. L'un va être envoyé au djebel pour combattre les "bougnoules" (rien que d'employer ce surnom qui est devenu beaucoup trop usité à mon goût, j'ai envie de pleurer et d'enfouir ma tête dans le sable comme une autruche à tout jamais) sans avoir vraiment rien demandé, l'autre va vivre, au contraire de l'existence fulgurante du premier, une vie de tourments à regarder constamment la guerre en face, tout en étant dégoûté de lui-même d'être ainsi obnubilé par l'Horreur. Une sensation de dégoût mêlé de fascination, celle de comprendre et de saisir un sens qui n'a pas lieu d'être, à laquelle je m'identifie fortement et dans laquelle je me retrouve, indubitablement.

Alors que ces deux hommes que rien ne prédestinait à avoir ne serait-ce qu'un point commun se retrouvent embrigadés et empêtrés dans le bourbier innommable qu'est la Guerre, alors que cette immondice les répugne au plus au point, en tout, impossible pourtant de s'en défaire. On dirait comme une seconde peau qui leur colle au corps. Ou plutôt comme une prison inviolable qui les enferment dans leurs pensées contradictoires, entre devoir de servir son pays et devoir de savoir, devoir de combattre pour que cessent tous les conflits. La guerre pour mettre fin à toutes les guerres est une idée stupide, n'est-ce pas ? Et pourtant, cette dernière se répète inlassablement, tel un disque rayé... « Comment échapper à un tel cercle vicieux ? », semble nous demander ce livre qui met toujours le doigt sur ce qui fait mal, et qui appuie bien fort sur la plaie.

Comme le chante si bien Nino Ferrer, ils ne savent pas quoi faire. le message véhiculé par Jean-Baptiste Naudet semble en effet en parfaite adéquation et harmonie avec la chanson bouleversante du célèbre chanteur au destin si tragique, lui aussi tué par ses démons d'une autre manière et dans d'autres circonstances (Vraiment ? La guerre gronde partout, même dans notre tête. Surtout dans notre tête à vrai dire), de Robert Sipière : "Un jour ou l'autre il faudra qu'il y ait la guerre/On le sait bien/On n'aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire/On dit c'est le destin". Dans le roman La Blessure, le Sud de Nino Ferrer devient la Kabylie des Algériens, ces montagnes à la géographie si particulière, si atypique de ce pays, si caractéristique de toute une nation, que les Français vont transformer en bains de sang de ceux qu'ils osent affliger du surnom insultant de "crouilles" et de bien d'autres noms d'oiseau qui ne méritent guère d'être prononcés.

Ce récit, qui nous laisse à bout de souffle à la dernière page tournée et à l'ouvrage refermé, se construit de la façon suivante : linéarité avec l'histoire de la vie de Jean-Baptiste, en prenant pour point de départ l'année de la Révélation du secret, qui jusqu'alors représente l'Épée de Damoclès qui plane au-dessus la vie familiale, du coeur de Danielle, 1980, jusqu'au point d'arrivée qu'est 2004, l'année de l'Aveu, à soi-même et aux autres. L'année de la Tentative ultime de compréhension, d'appréhension de la Folie, avant l'Abandon et la Délivrance : l'Acceptation du Pardon.

Le tout est éclairé par la propre expérience de guerre De Robert, reconstituée par Jean-Baptiste grâce au matériau précieux que lui a confié son père si généreux et si plein d'abnégation, Gilles, cet ami dévoué, résolument fidèle, et qui pense toujours aux autres, à leur protection, avant de penser à celle de son coeur, de ses sentiments, et de ses propres envies, que représente la correspondance que sa mère entretenait avec son ravissant fiancé à cette époque de leur prime jeunesse. Jean-Baptiste nous offre même le privilège de nous divulguer le contenu de cette correspondance qui vaut tous les trésors du monde, petit bout par petit bout.

L'assemblage de ces trois récits en un (enfin, ceux De Robert et Danielle ne font qu'un tous les deux), loin de dérouter le lecteur de son intérêt croissant pour cette histoire familiale et qui traite avant tout d'Humanité au fil des pages, fait toute la force et la richesse de cette gigantesque Blessure béante, à coeur ouvert, qui s'épanche de larmes de sang intarissables. Elle est tel un trou abyssal, un gouffre de souffrance et de peine inconsolée sans fond qui nous emporte instantanément, qui nous fait sombrer et remonter à la surface, à court d'air et revigorés. En plus de cela, Jean-Baptiste Naudet accomplit l'exploit de canaliser ce chagrin face à la perte de la lucidité puis de la vie qui nous dévore tous, tel un David incapable de vaincre Goliath. Il réussit à condenser ces démons de mort, de cruauté et de culpabilité qui nous rongent et qui nous gangrènent l'âme, jusqu'à en laisser à peine des trous dans un gruyère périmé. de maigres trous de bon sens et d'espoir qui tentent avec leur peu de forces de s'élargir, de résister. Et ils y parviennent, tel le rayon de soleil qui perce l'épaisse obscurité. On est bien peu de choses, in fine. Cependant, Jean-Baptiste Naudet arrive à résumer la nature humaine, ses interrogations entêtantes, mais aussi sa capacité délirante à croire au Bien ou à perpétrer le Mal, avec le nombre de mots et de pages suffisant. C'est déjà bien assez de torture comme ça.

Sous sa plume naissent ainsi des personnalités complexes, néanmoins tout ce qu'il y a de plus réel, et scindées en deux : l'Ombre et la Lumière.

C'est ce qui émane de la plume à fois si puissante et qui va droit au vrai de Jean-Baptiste Naudet. Là où tout ne paraît être que confusion, c'est en réalité limpide comme de l'eau de roche. C'est ce qu'il m'a semblé en tout cas, c'est comme ça que je le ressens après lecture. Chaque être est tiraillé, déchiré même, entre son Docteur Jekyll, sa façade lisse, douce, simple, et son Mr Hyde, l'être en proie à ses pires démons et à sa rage la plus destructrice. La figure de la Mère, qui est censée jouer le rôle de Doctoresse, va devenir le véritable antidote du poison de la Guerre dont est contaminé son fils avant même sa naissance. Ça tombe bien, elle est pharmacienne, tout un symbole. Cette mère est sûrement la figure la plus magistrale de tout le roman. On fait la connaissance d'abord d'une Danielle léthargique, aux prises d'une lassitude extrême face à ce monde qui ne tourne plus rond depuis belle lurette, et qui ne trouve même plus les mots pour exprimer la colère qui la consume au plus profond de son être meurtri. Elle qui s'est tant battue pour élever ses enfants dans un amour qu'elle croyait avoir résolument perdu, elle baisse les bras.

Cette femme autrefois si forte, si admirable, lorsqu'elle en était à l'aube radieuse, grandiose, de ses vingt printemps, ne trouve plus que le mot "Bêtise" (pour ne pas utiliser le vilain mot) à susurrer d'une voix éteinte, d'outre-tombe, qui revient d'aussi loin que là où se trouvent les Kabyles tués par Robert et ses hommes, là où repose Robert lui-même, ainsi que le fidèle, vaillant gaillard, bon vivant, toujours présent pour ses camarades, Roux. C'est avec beaucoup d'émotion et avec une grande fébrilité que l'on lit les lettres débordantes de vie et de tendresse qui redonnent à Danielle son unique voix, la seule qu'elle ait jamais eue.

La voix affirmée d'une jeune femme magnifique et chérie par son bien-aimé ; elle lui rend cet amour transcendant au centuple. Elle le réconforte, elle lui fait part de tous les efforts qu'elle fournit, de son travail acharné pour leur assurer un nid douillet, elle lui rappelle qu'il est vivement attendu à la maison, là où se trouvent leurs deux coeurs esseulés. Tous les deux savent que rien n'est certain, que l'issue est fatidique. Ils n'ont véritablement été qu'un une seule fois, à leur grand désarroi, et cela nous brise le coeur de comprendre que ce qui aurait dû être la promesse d'une vie à deux, féconde, longue et sereine, a vu son éclat se tenir et être finalement anéanti dans le firmament de la nuit d'apparence sans étoiles, sans lueur, de la Guerre d'Algérie.

Et malgré tout, malgré la fin qui menaçait à chaque instant de s'ouvrir sous leurs pieds pour engloutir tout ce qui était important et vital à leurs yeux, Danielle et Robert, ces deux amants, amoureux superbes, sont devenus les étoiles l'un de l'autre. Ils se sont transformés en une seule et même étoile, comme s'ils n'avaient jamais été séparés, comme s'ils n'avaient toujours été que de l'Amour à l'état pur, pour toujours et à jamais, de façon irrémédiable. Cette étoile n'a au fond jamais cessé de briller, toujours plus fort, tel un héritage impérissable d'un amour qui a réussi à vaincre la mort. Cette étincelle, c'était celle de leurs retrouvailles dans un pays étranger, qui n'était pas le leur et où les troupes de l'armée française ont commis les pires atrocités : violer un pays, sa culture, ses paysages dignes du jardin d'Eden, noyés dans le carnage du sang de l'Enfer, la dignité et l'honneur de ses hommes fiers et courageux, le corps de ses femmes, la jeunesse et la vie, la liberté de ce peuple... C'est la France qui, à ce moment-là, a tout sali, a sali aussi notre nom, qui est devenue HLL (Hors-la-loi), et qui est à l'origine de l'abomination perpétrée. Nous sommes inéluctablement coupables.

Cependant, au-delà de cette honte cuisante qui nous brûle tel un fer rouge sur la peau, au-delà de l'indignation et de la colère grondante face à tant de sang innocent versé, ce que je retiendrai avant tout, c'est la touchante et sincère humanité de Danielle et Robert, leur immense sensibilité, leur humilité désarmante, et leur demande de pardon. Pardonnez-nous, tel un cri du coeur, du plus profond de l'âme.

Et c'est Jean-Baptiste qui va répondre à ce cri déchirant enfermé dans des lettres qui irradient l'amour sans limites, sans frontières, dissimulé dans des phrases qui expriment l'irrépressible besoin de l'être aimé, de se raccrocher à ce qui donne du sens à notre vie et à toute cette galère, où la haine, la vengeance et ce désir sorti d'on-ne-sait-où de tuer du "fellouze" (une autre appellation tout à fait abjecte) finit par tirer inlassablement sur le fil de notre existence et par tout réduire à néant. Jean-Baptiste nous prouve in fine le contraire, que ce néant est en réalité rempli d'un cri immense, qui nous dépasse totalement. Son cri à lui, c'est d'abord celui de l'adolescent en colère, qui en veut terriblement à sa mère de n'avoir pas su maintenir la quiétude du foyer, et qui a pour souhait de mener la guerre à l'idée même de la faire. Chose selon lui de prime abord tout à fait impossible, impensable, et peu enviable. La Guerre gronde en chaque homme et le fascine. On veut même lui faire la guerre (lui faire elle-même en somme), tiens ! Après avoir lu (dévoré plutôt) tant de livres sur le sujet, des grands classiques de tout temps, la soif de Jean-Bapt est intarissable. Il franchit ainsi la limite entre l'encre et le papier et la chaire à canon et le sang, et ainsi commence sa carrière de reporter de guerre.

A travers les yeux écarquillés tout grands par l'horreur (pires que ceux d'Alex dans Orange Mécanique) de Jean-Baptiste, le souffle toujours aussi court (je me demande comment j'ai fait pour respirer en lisant ce roman), nous allons ainsi voir défiler les paysages dévastés par les bombardements d'obus, les terrains minés, par le son des kalachnikovs, les tanks militaires des ex-pays communistes ; le sang d'hommes, de femmes et d'enfants par milliers déversé par les haches et les machettes sur et dans le sol du Rwanda ; dans les entrailles de ces terres souillées par la peur et la menace à tous les coins de rue, à peine sorti de chez-soi, comment reconstruire un monde viable ? le cri qui voyageait au-delà de la mer devient un maigre filet de voix atterré, susurrant, incrédule, un "pardon" quasi inaudible.

Et pourtant, je l'ai entendu, au plus profond de mon être, comme s'il avait été prononcé par une voix de titan et adressé au soleil. Ce soleil de Kabylie dont Robert avait fini par apprécier la clarté et la chaleur, ce soleil dans le coeur des gens, dans le coeur et la façon d'être de ces montagnards comme lui, qui lui ressemblaient beaucoup en fin de compte. Et cette bonté, et cette clarté qui se dégageaient De Robert, elles brillaient également dans les étoiles du ciel de Tchétchénie, de Crimée, de Croatie, du Rwanda, de Paris, de Fontainebleau, j'en suis persuadée. Simplement, à force de se crever les yeux mutuellement, on ne pouvait plus y voir clair, forcément. Ce livre nous force à regarder et à écouter les coeurs et les âmes qui saignent. Et c'est une bonne chose. Alors, faisons-le.

Au nom de la patrie française, je vous demande pardon,

Au nom de tous les amoureux qui voulaient juste s'aimer et être ensemble en paix, je vous demande pardon,

Au nom de la stupidité humaine, je vous demande pardon,

Au nom de la cruauté inexplicable de certains êtres, je vous demande pardon,

Au nom de cette banalité qui ne devrait être tolérée, je vous demande pardon,

A ce peuple farouche et fier de ce qu'il est, qui voulait juste être libre et respecté, je vous demande pardon,

A tous les Algériens, et à tous ceux qui souffrent aujourd'hui encore des affres de la guerre, je vous demande pardon,

Sincèrement pardon.

Signé une jeune fille qui a foi en l'humanité, en la bienveillance envers autrui, et qui ne cessera jamais de chercher des réponses.
Lien : https://lunartic.skyrock.com..
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Robert et Danielle sont jeunes et amoureux, ils ont des projets plein la tête. Mais on est en 1960 et au nom d'une guerre qui ne dit pas son nom, Robert est envoyé en Algérie. Les amoureux échangent une correspondance nombreuse, pleine d'amour mais aussi hantée par la douleur de la séparation et les horreurs de la guerre. En 1979, Danielle est mariée et mère de famille, mais elle n'a jamais oublié son fiancé tué un jour de juin et finit par sombrer dans la dépression sous le regard inquiet de son fils Jean-Baptiste. Devenu reporter de guerre, celui-ci sombre à son tour dans la dépression.

Loin d'être un roman, c'est un récit à la fois intime et universel que nous livre Jean-Baptiste Naudet. Il alterne entre ses souvenirs personnels, la correspondance de Danielle et Robert et fiction lorsqu'il raconte la vie de soldat De Robert. D'un côté il y a la guerre, des passages de terreur, de violence, de souffrance, la mort omniprésente. Et de l'autre côté, il y a les lettres De Robert. A travers elles, c'est la vie, l'amour, la foi en l'avenir. Mais l'innocence des premières lettres est ternie par ce qu'il voit chaque jour et l'on ressent toute la douleur et la peur du jeune homme, ses doutes sur lui-même, son incompréhension face à ces événements.

Le livre porte bien son nom. La blessure ce n'est pas seulement celle de celui qui meurt. C'est aussi celle que son absence crée dans le coeur de sa fiancée. C'est celle de toute une génération de jeunes hommes hantés par cette guerre. C'est celle de tous ceux qui ont vécu et vu la guerre.

J'ai été très touchée par les trois protagonistes principaux de l'histoire. Robert, ce jeune homme si intelligent, si mature dans ses lettres, si amoureux, fauché pour on ne sait quoi. Danielle, la jeune fille insouciante et amoureuse, devenue cette femme prisonnière de sa souffrance et de sa solitude. Jean-Baptiste qui a vu sa mère sombrer et qui a assisté à tant d'horreurs.

C'est un très beau texte, à la fois intime et universel, un cri de désespoir et un hommage aux victimes de la guerre.
Lien : https://tantquilyauradeslivr..
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Un livre assez difficile sur la guerre d'Algérie (dans les descriptions de certaines scènes), mais sinon c'est un très bon roman qui mêle plusieurs sujets, autres que la guerre, comme la mémoire de guerre, les traumatismes qui en résultent, de l'amour aussi.
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