Ma dernière lecture pour cette session « Rentrée littéraire 2018 des 68 premières Fois :
La Blessure de
Jean-Baptiste Naudet, un premier roman d'inspiration biographique et autobiographique sur la guerre, la filiation et l'amour…
L'auteur est grand reporter ; c'est peut-être pour cela que son récit prend des allures de témoignage et de documentaire sur le parcours d'un jeune soldat envoyé faire son service militaire en Algérie en 1960 et sur ses propres ressentis de journaliste envoyé dans les pays en guerre.
Jean-Baptiste Naudet a choisi d'emblée de ne pas respecter la chronologie des évènements dans le récit concernant Robert et Danielle avec l'effet d'annonce de la mort et de la folie dès le début. de même,
il y aura aussi des allers-retours temporels dans l'histoire de Jean-Baptiste. C'est le personnage de Danielle qui devient le lien féminin de ce livre d'hommes ; elle est à la fois la fiancée amoureuse
De Robert et la mère folle de Jean-Baptiste dont les deux prénoms rythment le récit comme titres de chapitre.
Le découpage des récits entrecroisés de la guerre d'Algérie, de la
correspondance entre Robert et Danielle, des souvenirs d'enfance et de jeunesse du narrateur et de ses reportages dans les pays en guerre ou sur les champs de bataille m'a un peu déstabilisée ; je perdais la notion de fil conducteur et je prenais trop de distance.
L'émotion m'est venue seulement grâce à l'intertextualité : les chansons de Barbara et de
Jean Ferrat pour illustrer la dépression de la mère, les poètes pour dénoncer l'universalité de la guerre : « le Dormeur du val » de
Rimbaud ou encore des citations de
Prévert (« Quelle connerie la guerre !») ou d'
Apollinaire (« Ah Dieu ! que la guerre est jolie, avec ses chants ses longs loisirs »).
Baudelaire est également convoqué quand il s'agit d'«aimer et mourir » ou de parler à sa douleur ainsi que
Victor Hugo pour le deuil. Enfin, j'ai retrouvé la célèbre citation d'
Albert Camus sur les tortures et représailles durant la guerre d'Algérie…
Je n'ai été sensible à la fascination de
Jean-Baptiste Naudet pour la guerre, depuis ses lectures jusqu'à son métier futur de reporter de guerre, tel « un junkie accro à la plus forte des sensations : celle du jeu avec la mort ». Il m'a juste manqué quelque chose pour que mon intérêt soit plus que littéraire.
Je pense avoir saisi le propos et la posture de
Jean-Baptiste Naudet.
La blessure du titre symbolise la transmission de la destinée sous forme de « piège mental » : le père de l'auteur a épousé la fiancée de son ami mort en Algérie, son fils est approché par l'épouse d'un ami suicidé. La cicatrisation de cette blessure passe par un travail de recherche et de mémoire. Ce livre est « une offrande, comme une supplique, comme un chant à la mort, à l'amour. Comme une étoile dans la nuit, une étoile qui n'a pas de nom mais qui est la nôtre, une étoile qui ne parle que d'amour et qui ne doit jamais mourir. Pour que l'on nous comprenne, pour que l'on nous excuse, pour que l'on nous pardonne ».
Mais ce projet de pardon final tel qu'il apparaît dans le dénouement m'a laissé une drôle d'impression ; j'aurais eu besoin de plus d'analyse psychologique, peut-être de mise en fiction des personnages réels pour leur donner plus de moyens d'expression. Ou alors c'est le format romanesque qui ne m'a pas convenu ; je voyais davantage ce livre comme un essai, une étude.
Je salue cependant l'authenticité de la démarche de
Jean-Baptiste Naudet. Il nous donne à lire, avec l'autorisation de son père, de véritables extraits de la
correspondance entre sa mère et son fiancé. Il met l'intimité familiale au service de l'Histoire pour qu'on ne ferme plus les yeux, pour que les générations à venir puissent « à temps protester et, si besoin est, résister ».
C'est aussi une démarche individuelle sur l'acceptation de devoir vivre avec la souffrance de ses ancêtres qui peut parler à beaucoup au-delà des symptômes précisément décrits ici.