Le repas est interminable, les conversations pesantes, l’humour lourd. Au bout d’une dizaine de jours, ce sont toujours les mêmes vannes, les mêmes commentaires, les mêmes idées reçues qui reviennent...
Je saisis une sauterelle par une patte en masquant autant que possible mon dégoût. Je sais que c’est une simple question d’habitude, et que, dans le fond, un steak saignant est tout aussi répugnant. Mais une vie passée à écraser ou à exterminer araignées, cafards et autres insectes à coups de savate ou de bombe chimique ne me les rend pas franchement comestibles. Je fourre la bestiole dans ma bouche. Ça craque sous les dents, c’est… c’est dégueulasse ! J’essaie de bloquer tous mes capteurs sensoriels, et surtout mon imagination, pour parvenir à déglutir le truc.
Je reste estomaquée. « Je ne veux surtout pas te blesser... » Mais bien sûr ! J’adore cette formule de rhétorique pour enrober une saloperie.
— Moi, je suis prof de SVT, répond Véronique.
À mon air intrigué, elle consent à expliquer :
— De Sciences et Vie de la Terre. De biologie, quoi !
Je hoche la tête. Effectivement, à mon époque, je crois qu’on parlait de sciences naturelles. L’Éducation nationale a le génie de changer ses intitulés de cours sans arrêt, on se demande bien pourquoi. C’est comme les partis politiques. Sans doute pour donner l’illusion d’un renouveau ou d’une évolution…
— Aucun intérêt, on voit très bien d’en bas ! déclare Brigitte, tandis que son mari affiche une moue dédaigneuse et balance :
— Franchement, c’est très surfait, l’ascension des pyramides.
OK, c’est surfait. Tout ce qui les dérange est surfait. Puisque leur embonpoint les empêche de faire l’ascension, alors l’ascension ne vaut pas le coup.
Je pèse sur la porte de toutes mes forces, en vain. J’essaie de la soulever, de faire sauter le verrou… Rien à faire. Peut-être qu’avec une épingle à cheveux, comme dans les films… Mes paupières se ferment malgré moi. Je m’accroupis pour fouiller plus à l’aise dans mon sac…
Et je me réveille le nez dedans. Bon sang, je me suis endormie ! Un coup d’œil à ma montre m’apprend que j’ai passé plus de trois heures enfermée ici.