Ils ont le même âge. Ils se connaissent depuis l'enfance. Ils ne savent pas encore que chacun de leurs destins portera la marque douloureuse des convulsions de la première moitié du vingtième siècle : pour lui, ce sera une nouvelle guerre qui succède à une première, à laquelle il a déjà consacré quatre ans de sa vie ; pour elle, ce sera un second mari qui remplace un précédent, mort pour la France.
L'histoire se déroule sur une trentaine d'années, de 1912 au début de la seconde guerre mondiale. Thérèse perd son premier mari, Martial, au cours de la première guerre mondiale, et voit partir le suivant, Bernard, mobilisé vingt-cinq ans plus tard. Un mari que le premier conflit mondial a transformé : intègre et patriote, au point de se porter volontaire avant ses dix-huit ans, il est blessé et revient des quatre années de guerre, en rejetant le mode de vie et les valeurs d'avant-guerre. Dans ces années dites folles, nées de la victoire, il est tenté par les combines qui peuvent permettre une vie facile et sans scrupules. Devenu arriviste et jouisseur, il est impliqué dans des malversations financières et, menant une vie dissolue, trompe Thérèse.
L'air de rien, sans fioriture,
Irène Némirovsky nous offre ici le beau portrait d'une femme amoureuse, et qui reste digne malgré les épreuves de la vie, notamment celle que constitue l'adultère commis par Bernard. "Son amour n'était pas aveugle : les tendresses clairvoyantes sont les plus tenaces et les plus douloureuses. Elle n'oubliait pas la souffrance, l'abandon, mais de tout son coeur, elle les pardonnait" (Troisième partie - chapitre 10 - page 273).
L'ouvrage ne comporte pas beaucoup d'action. Il s'attarde davantage sur la description des différentes facettes de l'amour : le sentiment amoureux, ses allées et venues, ses incertitudes, l'amour conjugal, l'amour filial, l'amour maternel, l'amour paternel. Il comporte aussi une analyse fine des effets psychologiques de la première guerre mondiale, des années folles, des épreuves de la vie, et de l'échec : "Les quatre visages se tendaient vers l'horizon avec la même expression de joie, d'incrédulité et d'angoisse, car à ceux qui ont souffert, le bonheur, tout d'abord, paraît improbable" (Troisième partie - chapitre 10 - page 280).
Le roman se termine dans les premiers mois de la seconde guerre mondiale. Rédigé "à chaud" (
Irène Némirovsky mourra à Auschwitz en août 1942), sans que soit connue l'issue du conflit, et donc sans regard rétrospectif, il constitue par ailleurs un témoignage de premier ordre sur ces années 1939-1940-1941, la "drôle de guerre", l'invasion allemande, la déroute de l'armée française, l'exode et les premiers mois de l'Occupation.
Le tout est raconté avec une écriture finement ciselée, qui en rend la lecture très agréable. Un travail d'orfèvre.