Citations sur Je tue les enfants français dans les jardins (50)
Des larmes de prof c'est comme une chute dans l'escalier, c'est une mise à mort.
Au bout de l’avenue tristement ouvrière, hostile comme un rond-point, le brouhaha quotidien des élèves qui se pressent à l’entrée du collège. Le bâtiment date du siècle dernier, avec ses fenêtres joliment ornées d’un cadre de brique. Au-dessus de la porte monumentale l’inscription est restée, gravée sur le fronton : ÉCOLE DE JEUNES FILLES. Au-dessous, les gamins hurlent, Pédé enculé nique tes morts sur La Mecque, c’est la bande-son immuable de mes journées, j’ai besoin d’inspirer une dernière goulée d’air encore respirable avant de me résigner à fendre la foule d’un pas décidé, d’adulte inébranlable.
Pardon, pardon. Je me faufile, j’effleure une épaule de la main la plus légère qui soit pour qu’on s’écarte devant moi sans que cela semble un affront, je tente même un sourire. Je reçois en pleine figure le regard moqueur de Malik, il est le chat et moi la souris, même si j’ai 28 ans et lui 15, il savoure à l’avance l’heure qu’il va passer dans ma classe à essayer par tous les moyens de me déboulonner. Sur sa gueule triomphante se lit la satisfaction chafouine de celui qui rumine un sale coup. Je passe à côté de lui et j’entends qu’il crache par terre à quelques centimètres de mes talons. La courette devant l’entrée est jonchée de crachats morveux. La semaine dernière c’est la porte de ma salle qui en dégoulinait.
La seule différence entre Samira et moi au même âge, c’est que mes parents m’avaient poussée vers le monde des lettres en m’exhortant à lire sans cesse : la lampe de poche et le boudin étaient une simple question d’horaires de sommeil à respecter. Pour Samira, en revanche, tout était question de transgression. Selon ses parents, une fille ne devait pas lire. Une fille devait s’occuper de la maison jusqu’à l’épuisement et servir les hommes dans le respect de la religion.
Ce qui s'est passé dans ma chair n'est autre que la conséquence directe de notre fabrication quotidienne de monstres, de notre impuissance à éliminer de la surface de la terre ces êtres inutiles et nuisibles, et de l'échec de notre entreprise. On nous demande de modeler ces merdes avec une abnégation dont tout le monde se contrefout, l'important est que les moutons soient bien gardés et ne traînent pas dans les rues quand les honnêtes citoyens sont de sortie, voilà ce que le monde attend de nous.
J’ai convoqué la mère d’Adrami. Au téléphone j’ai insisté, je voulais voir la mère naturelle et non pas l’une de ses innombrables tantes et voisines qui dans la société comorienne ont fonction de représentantes légales. Elle est donc arrivée à 17 heures, un peu hagarde, en pantoufles, mais avec sur le visage les marques de toutes les couleurs du monde et la dignité des esclaves congénitales.
Rigoler, c'est se balancer des saloperies à la gueule, le plus souvent basées sur d'hypothétiques activités intimes des mères, et insister jusqu'à ce que l'offensé présumé se rebiffe en frappant à l'aveuglette. C'est aussi s'arracher des trucs des mains et des poches, des trousses, des téléphones, des jeux vidéo.
Et de plus en plus, alors que mon visage se marque des griffures de la haine, je n'accepte plus aucune explication, plus aucune excuse. Je crache sur le pardon. je méprise au plus haut point l'angélisme de bon ton qui voudrait nous faire croire que derrière toute cette merde, sous les pelures de la connerie et de l'orgueil, dort un bon de bonne petite créature abusée par la Société. (Page 63)
" Certaines hémorragies ont la faculté de lessiver les souillures, et l'avenir brille comme un sou neuf."
Des dissertations sur l’enseignement, j’en ai tellement entendues qu’il me serait même impossible de les classifier par genres et arguments dominants. En fil rouge des différents visages que peut prendre ce concept, grand sujet de polémiques de bistrot devant l’Eternel, une immuable idée maîtresse : en gros, nous sommes ceux qui ont toujours tort. Ceux qui font souffrir, ignoble dictature séculaire, ces pauvres enfants qui n’aspirent qu’à la liberté. Des malades mentaux, la plupart du temps. J’ai même cesser de compter les anecdotes entendues commençant par : j’avais un prof de … qui était complètement fou. Des dingues, des mal baisés, des obsessionnels, des trouillards. Névrosés et sadiques, nous sommes ceux à qui l’Etat délivre sûrement des diplômes par charité, histoire de nous occuper un peu, pauvres intellos qui feraient quoi sinon, je vous le demande un peu….