Citations sur Quatre maisons et un exil (14)
Rinat m’ a rappelé qu’il y avait un cours de rattrapage d’ anglais. Je lui ai répondu que je savais, et ça m’était bien égal. Ces derniers temps je sèche beaucoup, mais personne ne me dit rien, car mon frère est mort. La directrice m’a même convié à une discussion dans le bosquet derrière le terrain, elle a appuyé son coude contre un arbre et s’est salie avec la résine, et m’a raconté comme Guidi était bon élève , comme si je ne le savais pas, et elle m’a dit que la porte était toujours ouverte- ce qui n’est pas vrai, elle est toujours fermée- et de ne pas hésiter à m’adresser à elle pour quoi que ce soit.
Le livre des livres dans l'appartement de Noa et Amir: Cent ans de solitude. Amir en a commencé la lecture le premier, mais Noa s'en est emparé comme d'habitude. Et depuis, ils se disputent le droit de le lire, moitié sérieusement, moitié pour rire. Repose ce roman, José Arcadio Buendia, dit Noa en jetant un coussin sur Amir. Je regrette, Remedios la belle, répond Amir, c'était plus tôt qu'il fallait le dire.
Je veux m’émouvoir des petites choses. Comme de marcher pieds nus sur le sable. D’un cornet de glace. D’une douche froide l’été. D’un graffiti coloré sur un mur sale. D’une musique inconnue. De ne pas me raser. De me raser après avoir laissé pousser ma barbe longtemps, puis passer ma main sur ma joue lisse. Je veux m’émouvoir de toutes ces petites choses. Ne pas les laisser filer.
Les montagnes en contrebas étaient encore couvertes d’une légère brume matinale. Quelques sommets plus élevés dépassaient. Le soleil n’avait pas encore percé, mais ses rayons éclairaient le tout d’une lumière transparente, presque blanche. Et il n’y avait pas de bande-son du tout. Tu imagines ? Ni Klaxons. Ni autobus. Ni les ronronnements de la climatisation. Ni même un gazouillis d’oiseau. Le silence absolu. Je ne sais pas si tu comprends, mais il y avait dans tout cela quelque chose qui inspirait le respect.
Il vaut mieux que j’attende la partie de trictrac avec Amir, lui, il est patient avec moi, même si j’ai des idées bizarres. Et il a toujours quelque chose d’intéressante à dire. Avant- hier, par exemple, je lui ai dit que j’avais l’impression que les gens qui meurent ne mouraient pas vraiment, mais qu’ils vivaient quelque part au dessus du ciel et qu’ils nous observaient. Et il a dit que, la première fois qu’il avait pris l’avion pour les Etats-Unis et qu’il a survolé les nuages, il a cherché les âmes des personnes mortes, ou Dieu. Et il n’a pas trouvé. Mais peut- être qu’il n’avait pas bien cherché.
T’as le droit de te gourer
De tout laisser en plan
Te foutre de tes erreurs
Verser des pleurs
Regretter du fond du cœur
Et des couvertures s’envolent
Telles de belles paroles
Avec l’aube
…
T’as le droit de te gourer
De ne pas dire
Le mot qu’il faut
T’as le droit de foncer
D’ignorer
Les consignes de sécurité
Sans craindre d’aller jusqu’ au bout.
Le disque du mois, chez elle: Caramel, bonbon et chocolat, une compilation de chansons d'amour françaises des éditions Hed Artzi. (...)
Quand Sima entend Nino Ferrer, elle rêve des hommes français altiers, la moustache bien taillée, et elle se souvient de sa mère qui lessivait le sol de leur H.L.M. d'Ashkelon, dansant un balai à la main, et seules les pointes de sa longue chevelure noire suivaient le mouvement.
Je ne veux pas mourir dans un attentat
Demain
Ni dans un mois
Le paradis, ça me dit rien
Et l'enfer, encore moins
C'est la dernière fois que je viens te voir ici, ai-je dit à Guidi. Je te ferai peut-être aussi un mémorial en Australie. Ça dépend, je ne sais pas s'il y aura un terrain vague là-bas . J'espère que tu ne m'en veux pas de partir, ai-je poursuivi, et j'ai ajouté encore trois cailloux sur le mémorial. Deux sont tombés et un seul est resté. Parce que je ne t'en veux plus, et je n'attends plus que tu reviennes un jour pour me faire la surprise , ou que tu me répondes lorsque je te parle. Je sais que tu ne peux pas. De toute façon, Guidi , j'espère que tu continueras à me regarder de là-haut, même en Australie. C'est la même distance du paradis, non?
Les hommes meurent, les arbres meurent, mais la terre est éternelle.