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Jean-Luc Allouche (Traducteur)
EAN : 9782070123674
432 pages
Gallimard (10/06/2010)
4.18/5   59 notes
Résumé :

En 1998, quatre amis trentenaires suivent la Coupe du Monde de football à la télévision. Regarder ces matches ensemble, Youval, Amihaï, Ofir et Churchill l'ont toujours fait, depuis leur adolescence à Haïfa. Du coup, pendant la finale, l'idée surgit d'en faire un jeu, en utilisant ce rendez-vous rituel comme un point de mire, et de noter sur des bouts de papier les désirs et les ambitions qu'ils aimeraient avoir satisfaits quatre ans plus tard, lors de la Co... >Voir plus
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La vie est parfois aussi imprévisible qu'un match de foot. Qui peut savoir avec certitude où il sera dans quatre ans, ce qu'il fera ? Pourtant, on peut aussi avoir le douloureux et secret sentiment que rien ne change, ou pas dans le bon sens, alors que, pour nos amis, ce n'est pas le cas, ils avancent, ne stagnent pas, ne s'enfoncent pas dans la solitude, l'absence de projet ou l'impossibilité de réaliser celui ou ceux qui tiennent à coeur.

Le Cours du jeu est bouleversé est le roman d'Eshkol Nevo, dédié à ses amis, mais c'est aussi le titre du livre écrit par Youval, jeune homme de trente-deux ans, philosophe, solitaire et renfermé. Churchill, surnom d'un de ses trois meilleurs amis, trouvera ce texte dans ses affaires et s'en fera l'éditeur.

Merci Idil de m'avoir fait découvrir Eshkol Nevo et ses romans. J'ai une pensée pour ClaireG qui, par sa chronique si bien faite, m'avait aussi donné envie de découvrir le Cours du jeu est bouleversé, beau roman sur l'amitié masculine.

J'ai aimé l'originalité de la construction, l'alternance entre des passages sombres et des moments d'humour, des réflexions pertinentes sur l'écriture, la manière dont l'écrivain débutant est perçu, notre époque, la vie en Occident, l'obligation d'avoir des objectifs, de les réaliser, de réussir, mais qu'est-ce que réussir, être heureux ?

Tout commence pendant la Coupe du monde de 1998. Amihaï a l'idée d'écrire sur des papiers quatre souhaits que les quatre amis d'enfance aimeraient réaliser. Ils ouvriront les enveloppes qui contiennent ces désirs, ces ambitions lors de la prochaine coupe du monde. Ils auront alors trente-deux ans.

Le destin, la fatalité, le hasard, les tragédies qui nous attendent au coin du chemin se moquent de nos désirs, de nos rêves, de nos ambitions, de nos amours et rien ne va se passer comme prévu.

Chacun, sans l'avoir prévu, va réaliser le souhait de l'autre. Youval se rend compte que ce ne sera vrai qu'à une condition : il faut qu'il écrive le livre qu'Ofir avait pensé écrire et ainsi, l'harmonie qui règne au sein du chaos sera parfaite.

Mais il doit se dépêcher, oublier ses tourments personnels et intimes, se débrouiller seul après la réponse décourageante d'une assistante d'édition : « une bande d'amis ? » « Les hommes, ça ne marche pas aujourd'hui, mais envoyez toujours, you can never know… » « J'ai compris que je perdais mon temps et je n'avais pas de temps à perdre. »

J'ai aimé ces moments d'humour fin et subtil qui surgissent, comme dans la vie, au milieu des drames, des tragédies qu'il est impossible d'éviter, des souffrances qu'il est impossible d'oublier entièrement.

La complexité des sentiments humains est très bien rendue. Que sait-on vraiment de la vie intime de nos proches, surtout lorsqu'ils sont taiseux, et même lorsqu'ils sont bavards ? Grâce au livre écrit par Youval, ses amis vont mieux le comprendre, même si l'écriture n'exclut pas les mensonges et la dissimulation, on ne raconte que ce que l'on a envie ou besoin de raconter. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?

Ce roman publié en 2007 n'a pas pris une ride, tant par la pertinence de ses réflexions sur le monde contemporain, l'Occident, la manière de vivre des Occidentaux, que par l'analyse discrète mais présente des problèmes que subit la société israélienne avec les conséquences du conflit israélo-palestinien.

En pleine Intifada, Youval répond au chargé de cours de son atelier d'écriture que c'est volontairement qu'il n'évoque pas dans son livre la période agitée et sanglante que traverse son pays, vague d'attentats, morts car « les amis sont comme une oasis qui permet d'oublier le désert… ou comme un radeau sur une mer déchaînée… ou comme… »

Malgré cela, au cours de son récit, un événement traumatique le hante : durant son service militaire, en 1990, à Naplouse, pendant le Mondial, avec les hommes de son unité, il ne s'est pas bien comporté car, quand on est un très jeune homme, il n'est pas toujours évident « de veiller à ce qu'au milieu de toute cette guerre les gens des deux camps conservent leur humanité. Qu'ils ne se transforment pas en bêtes sauvages. »
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C'est une histoire d'amitié comme il y en a des tas dans les livres.

Qu'a donc celle-ci qui la rende différente des autres ?

Quatre jeunes de Haïfa se rencontrent au collège, poursuivent l'apprentissage de leur entrée dans la maturité à l'armée, sont fans de foot et démarrent leur vie d'adulte à Tel-Aviv. Churchill est un avocat brillant. Amihaï est comptable. Ofir réussit dans la pub et Youval, le narrateur, est traducteur et rédige une thèse de philosophie. Leur amitié se consolide sur les briques de menus faits.

« Il se peut qu'il y ait quelque chose de menaçant dans notre bande, avec son humour codé, ses associations d'idées hermétiques et ses sous-entendus cryptés ». Difficile de se faire une place quand on devient une pièce rapportée.

Lors du Mondial de 1998, ils font un pari : chacun écrit trois objectifs pour les quatre ans à venir. Jusqu'au prochain Mondial. Un seul est lu tout haut.

Chacun suit une route mais les aléas de la vie font qu'il faut parfois dévier ou changer radicalement. Les amours évoluent, la pub fait des ravages, le procureur est pris dans un scandale, des désaccords créent des séparations, des silences aussi, même un exil et la mort. En fait, la vie c'est comme le foot. Jusque dans les dernières minutes le cours du jeu peut être bouleversé.

Et ici, bouleversant.

Churchill pique la petite amie de Youval, le complexé, le penseur. « En m'attaquant à l'exemple de Heidegger, j'ai été saisi d'un sentiment de néant absolu devant ma thèse. Si je me montre incapable de comprendre la métamorphose d'un seul philosophe, comment pourrais-je élaborer une thèse qui englobe les métamorphoses de tous »? Plutôt que de se venger bassement, le narrateur décide de s'isoler du groupe, et d'écrire ses souvenirs d'amitié. Voire de les inventer, de les réinterpréter, de leur donner une autre consistance ou de se servir des mots pour souhaiter les pires échecs au voleur de son amour.

Des questions politiques et existentielles sont esquissées. Youval se plaît à évoquer la tranquillité et l'harmonie des jardins Bahaï à Haïfa et rêve de les transposer dans sa propre vie alors qu'il n'oublie pas un souvenir peu glorieux du Mondial de 1990 lorsqu'il faisait son service militaire dans les territoires occupés.

Peu avant le Mondial de 2002, un drame éclate. Poignant. Qui ajoute une dimension d'humanité au livre, une de plus, qui révèle les limites de l'ambition, les retournements inattendus.

La pudeur alliée au réalisme, la vivacité du trait combinée aux coups de gueule, les blagues de potaches associées aux réflexions profondes, font de ce livre un tout émouvant et puissant à la fois. « Il y a un passage dans ce livre où tu t'interroges sur ce qui s'est réellement produit au cours de ce semestre, quand tu nous as bannis. Eh bien, ce qui est arrivé, c'est que nous ne nous sommes presque pas rencontrés. Et quand nous nous rencontrions, c'était superficiel. Froid. Et voici la vérité : sans toi, nous ne sommes qu'un groupe aléatoire de gens. Avec toi, nous sommes des amis. Sans toi, cette métropole n'est que toutes les mauvaises choses qu'Ofir décrit. Avec toi, c'est un foyer ».

Comment traduire l'émotion de voir que chacun des personnages finit par réaliser l'objectif d'un autre ? C'est amené avec une telle maîtrise que l'effet ne peut être que saisissant.

Eshkol Nevo est né à Jérusalem en 1971. L'utilisation des mots occupe une grande place dans sa vie de même que la psychologie. Il a déjà obtenu de nombreux prix pour ses nouvelles et romans. Il enseigne l'écriture créative, notamment à l'université de Tel-Aviv.

Apparemment, il est de la génération qui suit celle d'Amoz Oz, David Grossman et Avraham Yehoshua, en faveur de la reconnaissance d'un double Etat Israël-Palestine.

Grand merci à BookyCooky qui, au cours de ses commentaires sur les livres d'Eshkol Nevo, m'a donné l'envie de découvrir cet auteur au grand talent.

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Juin 1998, Tel-Aviv. La Coupe du Monde de football bat son plein et, comme à chaque édition depuis leur adolescence, Youval, Amihaï, Ofir et Churchill suivent ensemble les retransmissions des matchs à la télé. Amis depuis le collège à Haïfa, les quatre trentenaires sont restés "les meilleurs amis du monde" malgré le temps qui passe : "Heureusement qu'il y a le Mondial [...]. Comme ça, le temps ne se transforme pas en un énorme bloc informe et, tous les quatre ans, on peut ainsi marquer une pause et voir ce qui a changé". Cette réflexion de Youval, le narrateur, leur donne l'idée de noter, sur des bouts de papier, trois objectifs personnels ou professionnels, qu'ils voudraient avoir réalisés pour la prochaine Coupe du monde. Chacun lit aux autres un de ses trois objectifs, les autres restent secrets, et tous les bouts de papier sont gardés précieusement jusqu'à l'échéance.

Mais évidemment, la vie est ce qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle se fiche pas mal de vos rêves et de vos ambitions et n'en fait qu'à sa tête. Et qu'on désire changer quelque chose ou qu'on veuille garder un statu quo et conserver en l'état ce qu'on a eu tellement de mal à réaliser ou obtenir, il suffit d'un rien pour bouleverser tous les projets. Notre bande des quatre n'échappe pas à ces aléas. La mauvaise nouvelle, c'est qu'aucun d'eux n'atteindra son objectif, des coups du sort parfois terriblement cruels se chargeant de détruire l'équilibre et l'harmonie de leurs vies et de leur amitié. La bonne nouvelle, c'est que, en dépit de tout, cette amitié s'avère in fine assez puissante pour rétablir un autre équilibre, différent mais un équilibre quand même, dans lequel chacun d'eux réalisera l'objectif d'un des trois autres. Enfin, cela, Youval est le seul à l'avoir compris avant l'échéance des quatre ans, le seul à avoir vu que tout allait partir à vau-l'eau, et que pour résoudre l'équation, il n'avait d'autre choix que d'écrire un livre, un roman sur une histoire d'amitié entre quatre hommes...

Ce "Cours du jeu..." m'a bouleversée.

En toile de fond, il y a le conflit israélo-palestinien, la deuxième Intifada, les attentats, la rivalité entre Haïfa la provinciale et Tel-Aviv la branchée. Il y a aussi des réflexions sur le travail d'écriture, sur la (re)naissance qu'elle permet, sur la toute-puissance du narrateur qui a le droit d'enjoliver ou travestir la réalité tout en sachant qu'il ne rend jamais compte que de son propre point de vue et qu'une autre personne, toute proche qu'elle soit, aura nécessairement une autre version de la même réalité.

Mais le noeud, le coeur de cette histoire,c'est l'amitié. De ces amitiés dont on voudrait qu'elles durent toujours, auxquelles on s'accroche parce qu'on n'a pas grand-chose d'autre qui nous procure autant d'énergie, de celles qui vous acceptent tel que vous êtes avec bienveillance et sans questions même si vous n'arrivez pas à comprendre ce que vous pouvez bien leur apporter, de celles qu'on voit évoluer avec amertume quand certains avancent dans leurs vies et que vous faites du sur-place : "Ils m'énervaient. de quoi se plaignaient-ils ? Au moins, ils avaient de l'amour. Au moins, il leur était arrivé quelque chose de significatif dans la vie. Et moi ?". C'est Youval, le solitaire introverti, qui s'exprime ainsi, mais ses mots, peut-être injustes, auraient pu être les miens. Et cela m'a bouleversée parce que, justement, quand vos quelques certitudes sont ébranlées de la sorte, on a la sensation de marcher au bord du vide, d'être sur le point d'être englouti par la solitude comme Jonas par la baleine. A plusieurs reprises je me suis dit que je devais arrêter de lire ce roman, tant je sentais le narrateur glisser sur la mauvaise pente et que je n'avais pas envie d'assister à cette chute. Mais à ce stade, la lecture était devenue addictive et j'ai continué. Bien m'en a pris, parce que la fin n'est pas aussi sombre que je le pensais. Il faut croire qu'il existe quelque chose comme le miracle de l'amitié, qui ne s'explique pas bien, mais qui est là, qui existe quoi que vous pensiez de vous-même, et qui vous (re)tient.

Même si cette histoire d'amitié ne vous parle pas autant qu'à moi, ce roman reste un bonheur de lecture. L'auteur a un énorme talent de conteur et une grande maîtrise de la construction du récit. La narration est très fluide malgré les mouvements dans le temps, il y a du tragique et de l'humour, du burlesque même, de la subtilité et de la complexité, de la profondeur et de la réflexion, une grande finesse et un ton très juste.

Merci, une fois de plus, à Bookycooky de m'avoir inspiré cette lecture cinq étoiles.
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Encore adolescents, Youval, Amihaï et Ofir ont été attirés par Yoav, ce grand et beau mec qu'ils ont aussitôt surnommé Churchill. Parce qu'il était imposant, brillant, un leader né autour duquel ils ont forgé une grappe d'amitié forte, entière, exclusive. Des virées nocturnes pour dégoter des fêtes à tout casser, une expédition en Amérique du Sud, des retrouvailles inattendues sur un toit en zone de guerre, des soirées à n'en plus finir, ces quatre là auront vécu leurs premières années d'adultes forgées par cette amitié indestructible.

C'est sur l'impulsion de Churchill que Youval, le narrateur, va quitter Haïfa, leur ville de naissance, pour le rejoindre à Tel-Aviv. Aminhaï y est déjà à faire fructifier Mon Coeur, une caisse de prévoyance pour cardiaque. Et Ofir y perd son âme dans une boîte de pub qui presse son talent jusqu'à la moelle. Ainsi les quatre amis qui ne se sont jamais perdus de vue, vont entrer dans la trentaine, vivre les mues qui accompagnent ces années, toujours aimantés par leur quatuor. Leurs blagues codées, leurs rituels, leurs manières de désamorcer les tensions ou de se livrer au contraire à des bonnes empoignades n'appartiennent qu'à eux. Ainsi, année après année, les filles passant dans le lit de ce tombeur qu'est Churchill, des familles se constituant, c'est dans le noyau de ces quatre-là, un cinquième fantôme expatrié et silencieux en plus, que réside le véritable centre de gravité de leurs existences.

Les filles, parlons-en. Il y a Ilana, dite Ilana la pleureuse. Amanihaï en est tombé fou amoureux sans que ses amis comprennent vraiment ce qu'il trouve à cette femme revêche, toujours plongée dans ses bouquins de psycho qu'il a épousée très vite et avec laquelle il a eu deux jumeaux. Il y a Maria. Elle vient un peu plus tard, de Suède en passant par l'Inde et sera la compagne d'Ofir. Et puis, il y a Yaara. C'est Youval qui la rencontre le premier. Il en est fou. Il n'a jamais aimé personne comme elle. Mais c'est compter sans Churchill.

Parmi les habitudes qui tiennent leur petit groupe, le foot. Regarder les matchs opposant l'équipe d'Israël à ses adversaires, se lamenter, redouter, s'exclamer, se rouler par terre devant l'écran de télé est une messe à laquelle les quatre garçons communient sans faute. Sans parler des coupes du monde. Là, c'est plus qu'un rituel, c'est une célébration de leurs liens. D'ailleurs, en 1998, Aminhaï propose qu'ils écrivent chacun sur trois papiers distincts trois des souhaits qu'ils espèrent être réalisés quatre ans après. Ainsi, sûrs de se retrouver, à la prochaine coupe du monde, ils pourront mesurer ce qu'ils sont devenus, rire de ce qu'ils prétendaient être et se féliciter d'être toujours amis. Les trois souhaits de Youval auront tous Yaara pour sujet.

Evidemment, comme le titre le fait supposer, tout peut se trouver bouleversé.

Dès le début du roman, un mémorandum signé de Yoav Alimi, alias Churchill, pose la dimension tragique de ce qui va suivre. Quelque chose s'est produit qui a empêché ce manuscrit de parvenir à son terme et son auteur, Youval, n'est pas en état d'en faire un livre.

Si j'ai aimé, à partir de cette initiale, suivre la narration et reconstituer petit à petit les vies de chacun, la manière dont elles s'entrelacent et s'influencent, je n'ai pas été perpétuellement sous le charme. Ces amitiés viriles, la manière dont elles imprègnent les vies des protagonistes m'ont paru plus exotiques que la vie de Tel-Aviv telle que le roman la laisse également affleurer. Impression parfois de lire le récit fanfaron de la jeunesse épique parce que révolue de quelque nostalgique à qui on offre une écoute empathique.

Services militaires aux épisodes inhumains, explosions terroristes et mesures déshumanisantes prises contre la population arabe, souvenirs de l'intifada, les éléments politiques piquent heureusement assez le quotidien un peu égocentré de ces personnages pour que, au-delà des jérémiades névrotiques faciles d'un narrateur qui ne parvient pas à s'inscrire dans son existence, saille une réalité plus complexe. Plus ancré dans la banalité de vies ordinaires, le cours du jeu est bouleversé n'atteint pas immédiatement la profondeur presque affolante des romans d'Amos Oz. Malgré un contexte politique dont il fait aussi sa trame, il semble chanter un quotidien presque superficiel et des peines dont on tait les abysses.
Mais il faut aller au-delà des apparences et ce roman ne parle pas que de foot et de filles. Il fait des drames la matière ordinaire d'un dépassement jamais gagné d'avance. Il met en jeu toute l'incertitude qu'il y a à miser sur soi, sur les autres, sur un avenir sûr. La beauté des liens qui perdurent malgré ce que la vie leur inflige. La labilité de leur définition selon les événements et les points de vue. Et, dans ce flot permanent, mouvant et incertain, leur permanence.

Merci à Idil d'avoir mis Eskhol Nevo sur ma route.
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Un roman sur l'amitié, et sur les chamboulements de la vie.
Dans ces matches de foot qui sont des rituels si importants pour l'amitié d'Amihaï, Ofir, Churchill et Youval, le plus fascinant selon ce dernier, ce sont «ces instants où, soudain, sans raison apparente, le cours du jeu est bouleversé du tout au tout».
Même dans sa thèse de philo, c'est aux métamorphoses de la pensée des philosophes que Youval s'intéresse, aux «épisodes de confusion», aux «instants de trouble intellectuel et émotionnel».
«Non seulement parce que ces instants recèlent quelque chose d'humain et d'émouvant, mais encore à partir du présupposé que, dans ces instants-là, dans leur bégaiement... se trouve peut-être la clé de la compréhension véritable de la nature de la pensée.»
Youval n'est pas comme Ofir, qui répète et cherche à fixer dans le marbre sa ritournelle favorite:
«Quelle chance nous avons d'être les meilleurs amis du monde, vous n'avez pas idée!»
Il serait plutôt du genre à se demander:
«Y a quelque chose de fondamentalement niqué en nous tous, non? du fait même que nous soyons des êtres humains.»
Bref, quand il se fait chroniqueur de l'histoire de leur amitié, c'est loin d'être idyllique, Youval s'intéresse à la complexité des évolutions de chacun, aux espoirs déçus, aux changements de cap, aux trahisons... Avec en arrière-plan, l'évolution du monde devenant «épouvantablement utilitaire» et de la société israélienne s'enfermant dans un cercle vicieux anéantissant tout espoir d'amélioration.
C'est très vivant et sensible et du point de vue de l'analyse, c'est fin, c'est profond comme on aime.
Une bien belle et bonne lecture, une fois de plus merci Bookycooky!
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Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Écrire un livre, c’est pas facile, j’ai répété ses mots, en dévalant vers la mer, en bas, sur le boulevard Freud. Ce n’est pas facile, mais je l’ai fait. J’ai bougé. Je suis sorti de ma cage et j’ai avancé pendant des mois. Sans manquer d’oxygène. Certes, c’était au nom d’Ofir. Et, certes, c’était à cause de l’équation des billets du Mondial. Mais si j’ai fait ça une fois, ça signifie que je peux le refaire. Je peux dénouer mes propres liens. Me libérer de mon pessimisme délétère. De ma retenue sceptique. Je peux exprimer de nouveaux souhaits en vue du Mondial 2006 et, cette fois, les réaliser. Je peux changer. Me révéler. Découvrir une vocation. Je peux en aimer une autre, pas Yaara. Je peux – si la mer s’ouvre devant moi ainsi, dans tout son scintillement –, je peux même continuer à l’avenir à être l’ami de mes amis, et non plus les congeler dans le temps grâce à l’écriture. C’est vrai, leur vie va bientôt être très différente de la mienne, mais cela ne signifie pas que ce livre est condamné à n’être qu’un requiem.
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Amihaï, lui, a conservé des amis de l’armée et, si on l’interroge, il peut décrire une Intifada totalement différente, une histoire de fraternité d’armes, d’attentats déjoués et d’assauts préventifs et, de toute façon, dira-t-il, l’armée lui a fait rencontrer Ilana et l’a sauvé de sa famille sinistre et du rôle qu’on lui avait assigné, et ces trois années-là lui ont donné l’occasion, pour la première fois, de sentir qu’il réussissait enfin à vivre depuis la mort de son père…
Mais, ici, c’est moi, le narrateur, et je veux dire qu’il y a trop de moments qui ne me rendent pas fier de mes années à l’armée, et que l’épisode le plus ignoble eut lieu pendant le Mondial de 1990, dans une maison aux murs nus des faubourgs de Naplouse.
Même mes amis ignorent cette histoire.
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C’est la pensée qui m’a accompagné pendant des années.
Il existe le monde éthéré, grandiose, effrayant, des écrivains. Et il y a mon propre monde. Ordinaire. Et, entre les deux, se dresse une barrière infranchissable. Quand je traduis, je peux grimper sur cette barrière et jeter un coup d’œil à ce monde différent, mais, en fin de compte, je me vois toujours contraint de faire retraite dans mon propre monde. Parce que je ne suis qu’un individu quelconque, banal. Et qui suis-je pour écrire ?
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[Jeremy Miller, président de l’Association des psychologues canadiens] affirme qu’il existe une lutte feutrée dans la psychologie moderne entre l’école américaine tournée vers le futur et l’école européenne enracinée, grosso modo, dans le passé. Quand un psychologue américain reçoit un individu, la première question qu’il pose est : « Où cet homme veut-il arriver ? » Quand un psychologue européen recevra le même individu, sa première question sera : « D’où vient-il ? »

p. 330
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Dis-moi, « Ofi », quand nous avons écrit nos billets pour le Mondial, t’avais pas le rêve d’écrire un recueil de nouvelles? Dans quelle langue tu vas publier là-bas ? En danois médiéval ?
- C’est précisément le problème de la vie en Occident, expliqua Ofir d’un ton posé. Nous nous imposons des objectifs, et nous en devenons esclaves. Et ça nous contraint de nous efforcer à les réaliser, mais nous ne prenons pas garde qu’entre-temps ils ont changé.
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Cette semaine, les conseils de lecture de la librairie Point Virgule sont marqués du sceau du mystère. En effet, voici trois romans récemment parus en format poche qui vous réservent, chacun à leur manière, leur lot d'énigmes et de révélations.
- L'Infortunée, Wesley Stace, J'ai Lu, 8,90€ - L'Homme Coquillage, Asli Erdogan, Babel, 7,70€ - Trois étages, Eshkol Nevo, Folio, 8,60€
Musique du générique d'intro par Anna Sentina.
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