La vie est parfois aussi imprévisible qu'un match de foot. Qui peut savoir avec certitude où il sera dans quatre ans, ce qu'il fera ? Pourtant, on peut aussi avoir le douloureux et secret sentiment que rien ne change, ou pas dans le bon sens, alors que, pour nos amis, ce n'est pas le cas, ils avancent, ne stagnent pas, ne s'enfoncent pas dans la solitude, l'absence de projet ou l'impossibilité de réaliser celui ou ceux qui tiennent à coeur.
Le Cours du jeu est bouleversé est le roman d'
Eshkol Nevo, dédié à ses amis, mais c'est aussi le titre du livre écrit par Youval, jeune homme de trente-deux ans, philosophe, solitaire et renfermé.
Churchill, surnom d'un de ses trois meilleurs amis, trouvera ce texte dans ses affaires et s'en fera l'éditeur.
Merci Idil de m'avoir fait découvrir
Eshkol Nevo et ses romans. J'ai une pensée pour ClaireG qui, par sa chronique si bien faite, m'avait aussi donné envie de découvrir
le Cours du jeu est bouleversé, beau roman sur l'amitié masculine.
J'ai aimé l'originalité de la construction, l'alternance entre des passages sombres et des moments d'humour, des réflexions pertinentes sur l'écriture, la manière dont l'écrivain débutant est perçu, notre époque, la vie en Occident, l'obligation d'avoir des objectifs, de les réaliser, de réussir, mais qu'est-ce que réussir, être heureux ?
Tout commence pendant la Coupe du monde de 1998. Amihaï a l'idée d'écrire sur des papiers quatre souhaits que les quatre amis d'enfance aimeraient réaliser. Ils ouvriront les enveloppes qui contiennent ces désirs, ces ambitions lors de la prochaine coupe du monde. Ils auront alors trente-deux ans.
Le destin, la fatalité, le hasard, les tragédies qui nous attendent au coin du chemin se moquent de nos désirs, de nos rêves, de nos ambitions, de nos amours et rien ne va se passer comme prévu.
Chacun, sans l'avoir prévu, va réaliser le souhait de l'autre. Youval se rend compte que ce ne sera vrai qu'à une condition : il faut qu'il écrive le livre qu'Ofir avait pensé écrire et ainsi, l'harmonie qui règne au sein du chaos sera parfaite.
Mais il doit se dépêcher, oublier ses tourments personnels et intimes, se débrouiller seul après la réponse décourageante d'une assistante d'édition : « une bande d'amis ? » « Les hommes, ça ne marche pas aujourd'hui, mais envoyez toujours, you can never know… » « J'ai compris que je perdais mon temps et je n'avais pas de temps à perdre. »
J'ai aimé ces moments d'humour fin et subtil qui surgissent, comme dans la vie, au milieu des drames, des tragédies qu'il est impossible d'éviter, des souffrances qu'il est impossible d'oublier entièrement.
La complexité des sentiments humains est très bien rendue. Que sait-on vraiment de la vie intime de nos proches, surtout lorsqu'ils sont taiseux, et même lorsqu'ils sont bavards ? Grâce au livre écrit par Youval, ses amis vont mieux le comprendre, même si l'écriture n'exclut pas les mensonges et la dissimulation, on ne raconte que ce que l'on a envie ou besoin de raconter. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Ce roman publié en 2007 n'a pas pris une ride, tant par la pertinence de ses réflexions sur le monde contemporain, l'Occident, la manière de vivre des Occidentaux, que par l'analyse discrète mais présente des problèmes que subit la société israélienne avec les conséquences du conflit israélo-palestinien.
En pleine Intifada, Youval répond au chargé de cours de son atelier d'écriture que c'est volontairement qu'il n'évoque pas dans son livre la période agitée et sanglante que traverse son pays, vague d'attentats, morts car « les amis sont comme une oasis qui permet d'oublier le désert… ou comme un radeau sur une mer déchaînée… ou comme… »
Malgré cela, au cours de son récit, un événement traumatique le hante : durant son service militaire, en 1990, à Naplouse, pendant le Mondial, avec les hommes de son unité, il ne s'est pas bien comporté car, quand on est un très jeune homme, il n'est pas toujours évident « de veiller à ce qu'au milieu de toute cette guerre les gens des deux camps conservent leur humanité. Qu'ils ne se transforment pas en bêtes sauvages. »