Il faut dire que les prédictions des devins allaient peu souvent à l'encontre des projets des riches propriétaires.
Comme tous les hommes de troupe, Yann ne savait pas grand, -chose de la stratégie des chefs. Il n'était pas dans leurs secrets, il ne devait pas penser, seulement se battre, sans perdre le moral, sans poser de question ni chercher à comprendre.
Elle ne regrettait rien puisqu'ils avaient eu une journée entière, et la vie n'est-elle pas comme une journée ?
Il y a une petite consolation quand la nuit vous tient dans son étau : vous n'avez plus peur, car il n'y a plus rien à faire, il n'y a qu'à se laisser emporter par les forces de l'ombre et leur étreinte irrésistible. Ces forces avaient doucement pris les mains de Mai, elles l'entraînaient dans une lente marche vers l'inconnu. La nuit était finalement une compagne pleine de compassion, elle avait compris que Mai était toujours la petite fille qui avait peur du vide, qu'il ne fallait pas se hâter; dans la froideur glacée de minuit, ce ne serait pas possible, mais au matin... Patience, elle attendrait l'aube, car lorsqu'elle prend quelqu'un par la main, ce n'est plus possible de se dérober. (p. 129)
Il avait fallu le voyage en Indochine , beaucoup de choses inutiles et cette guerre , ce tourbillon de poussière , pour que ces deux amants perdus se retrouvent l'un devant l'autre , dans le grand dispensaire de l'hôpital Lanessan .
Étrangers tout d'abord , ils s'étaient peu à peu reconnus.
"(…) s’il est vrai que chaque homme se remplit un peu des livres qu’il lit (…)
Yann ne savait pas s'il préférait qu'elle fût malade, blessée, morte ou qu'elle n'ait pas eu envie de venir ce jour-là, l'égoïsme est parfois l'autre nom de l'amour.
La journée de fête du Nouvel An était toujours minutieusement préparée. On disposait les plats sur les tables au centre desquelles on posait des vases de fleurs de prunier et d'abricotier. Cô L'an, qui était du Sud, avait introduit l'usage de disposer quatre sortes de fruits dans les corbeilles.
Car quand on prononçait les mots pomme-cannelle, noix de coco, papaye et mangue, câu dìra dû xài , on pouvait entendre"prions d'avoir assez pour vivre"; si la papaye était remplacée par l'ananas, on entendait, câu dìra dü xài "prions pour avoir plus qu'il ne faut". Les fleurs et les fruits exprimaient la dévotion des hommes.
Les parfums rouges
et le feu de l'automne -
étoiles piquantes folles
Sous l'ombre du jasmin
la rivière et le vent clair
après la pluie
Que voulais-tu
la terre-lune, le ciel-étoile -
le rire d”un enfant
Buvons le vin cruel
de cette nuit sombre
et bleue
P79
Sur les chemins
de menthe fraiche -
est-ce de la lumière tremblante
Les pierres chantaient
sur l'eau
- une hirondelle nue
Puisses-tu
ne 'voir tomber
que de la neige folle
Les chèvrefeuilles de la nuit
et le vent ardent
sous les étoiles perdues
p46