Seules les bêtes

- Savez, moi je sais parler qu’aux bêtes. Et à mon chien.

On espérait pouvoir prendre des vacances, au moins le mois d’août, cela aurait été une prouesse. On s’inventait des voyages lointains, on rêvait d’Afrique. Oui un jour on irait là-bas, on se persuadait. On dépasserait nos craintes de ruraux casaniers pour s’ouvrir au monde, l’argent, le temps, on trouverait, c’était juste une question de volonté. […] A table, je parlais dans le vide et Michel, lui, parlait de moins en moins. Je reconnaissais à peine le beau jaseur qu’il avait été. Pourtant il n’avait pas l’air malheureux, certains jours je le trouvais même plutôt enjoué, mais il était ailleurs, perdu dans ses pensées d’éleveur de vaches. Dans son monde où je n’avais plus l’impression d’avoir ma place.

Je ne sais pas comment c'est pour les autres, mais moi la solitude, je ne dirais pas que je l'ai voulue. Et elle m'est pas tombée dessus du jour au lendemain. Non, c'est venu lentement, j'ai eu le temps de la voir arriver avec les années, de la sentir m'entourer comme une mauvaise maladie. (p. 57)

On aurait dit que la nouvelle année qui s'approchait, les gars l'attendaient avec impatience, comme s'ils croyaient vraiment qu'elle allait être mieux que celle qui finissait. Comme si ce monde meilleur, plus solidaire, plus équitable, qu'ils pensaient être en train de construire, il avait une chance d'émerger un jour. Leur utopie en ligne de mire, toujours en tête malgré les mille contradictions qu'ils s'employaient avec force à minimiser.

tu grimpes en haut de la butte, tu t'assois sur le bord d'un clapas, tu t'allumes une cigarette et tu regardes ton troupeau s'éparpiller entre les buis comme faisaient les bergers d'avant. T'observes leurs mouvements qui t'ont toujours fait penser à une rivière qui coule, qu'apparaît et qui disparaît derrière les rochers.

La dernière fois que l’homme d’affaires avait vu sa femme, elle quittait sa villa pour un après-midi de randonnée en solitaire. Une petite marche comme elle en avait l’habitude, bravant l’hiver sur le plateau ou du côté du mont, elle n’avait pas précisé. Et depuis, plus rien. On avait retrouvé sa voiture abandonnée à l’entrée de la ville, mal garée en bord de route.

Les gens veulent toujours un début. Ils s'imaginent que si une histoire commence quelque part, c'est qu'elle a aussi une fin. Que l'orage a cessé, qu'ils peuvent revenir à leur routine, épargnés qu'ils ont été.

J'aurais voulu en avoir une vraie, une comme je les imaginais, une qu'aurait accepté de partager avec moi cette vie sur le causse. Une qu'aurait trimballé son sourire dans toutes les pièces. Une qu'aurait été là quand c'est dur, en hiver ou quand le loup s'attaque aux brebis et que tu les retrouves les tripes à l'air au matin. Une qu'aurait pas rechigné à filer un coup de main à la ferme. Mais je l'ai jamais trouvée. Ou je l'ai pas vraiment cherchée, je sais pas. Et peut-être qu'en fait, elle existe pas.

MARIBE :
Parce que ce type, il n'était pas fou.
Non, j'en suis sûre aujourd'hui : c'est dingue, mais il croyait vraiment me connaître. Dans ses yeux, avant qu'il ne craque, il y avait une sorte de lueur béate. Un amour profond, sincère. Il m'avait pris pour une autre, une femme à qui il avait donné son coeur et sûrement beaucoup plus que ça. Impossible de savoir qui c'était cette fille. Où elle se trouvait, ce qu'elle avait fait.
Je ne connais que son nom.
Parce qu'à un moment, en pleine action, il l'a prononcé.
Amandine.

Les couleurs revenaient peu à peu sur les versants grimés par le soleil, il y avait quelque chose d’apaisant dans ces paysages en renaissance.