Citations sur Mordre le bouclier (43)
En vérité, en toute dernière vérité, Chien, tu ne connais rien de la guerre. Tu portes bien ton nom, car tu mords jusqu'à l'égarement, mais tu ignores tout des batailles des humains.
Pour la première fois de sa vie, la guerrière avait compris le découragement et l'envie de l'abandon. Il lui avait fallu perdre ses doigts pour saisir que parfois l'esprit devient un gouffre si profond et goulu que rien ne sait plus l'éclairer et que tout y chute.
"Ce que j'aime dans les livres, c'est qu'ils s'adressent à qui veut. Je possède un livret sur les pensées d'un empereur romain, Chien. Cet homme, des gens ont vécu à son époque et n'ont pu le croiser, le voir à sa fenêtre. À moi, il se confie lorsque j'en ai l'envie, et je suis ses conseils s'il m'en vient la sagesse. Les livres redonnent une langues aux empereurs et aux morts." (p. 164-165)
J'ai toujours trouvé l'amour mesquin. La plupart jouent, la plupart profitent, la plupart se mentent. Et passe le carnaval avec ses masques et ils repartent pour un autre amour oubliant ce qu'ils avaient juré, ce qu'ils avaient fait, ce qui explique à quel point ils le pensaient. Les serments de guerre sont autre chose. Ils se tiennent et savent leur engagement. Je ne crois jamais l'homme ou la femme parlant d'amor, mais je donne mon cœur et mes tripes à celui qui me chante l'honneur à la guerre.
Tu crois me faire peur ? grinça-t-elle en penchant la tête sur le côté, à la façon d’un oiseau qui cherche à voir. Que ton dard va me faire reculer comme un renard malade devant une lanterne ? Sais-tu à qui tu causes, petit homme ? Tu parles à une morte, voici le fait ; une morte. Et pourtant je respire toujours, et plus rien ne bat à l’intérieur. Tu peux toucher ma chair, fils de chien, plus rien en elle ne bouge. Alors, que me chaut ta gueule de fieffé branleur d’ânes, corniaud de merde ?
Un jour, qui sait, l’un d’eux me mettra sa massue dans la fontanelle et je crèverai en perdant ma cervelle, en l’aspirant par le nez, dans ma flaque de sang. Qui sait ? Mais en attendant, j’ai mon arbalète et mes yeux. Ce sont les seuls dons que l’on m’ait faits.
Le monde me semble voleur ; voleur de temps, de moyens et d'espoirs. Nous sommes solitude, toujours brutale et viscérale, celle qui tord les tripes au creux de tous les lits des hommes. Je me suis toujours pensée abandonnée.
Un nom ne vaut pas toute une histoire.
(Excipit)
Les hommes et les femmes se frottent trop souvent le ventre en imaginant qu'il suffirait à l'autre de se transformer un peu pour être tout comme on désire. Alors, ils attendent de le voir mieux, plus fragile, plus tendre, plus chaud, le détail ou l'envie qu'ils se sont fourrée dedans la tête, comme si on choisissait son humain à la façon d'un ruban à l'étal d'un marchand. Les gens ne muent pas, jamais, ils ne savent que montrer, ou pas, ce qu'ils sont au fond d'eux. Tout le monde se cache parce que tout le monde a peur des yeux de l'autre, Chien, et ceux qui hurlent le contraire le font sans doute encore plus que ceux qui se taisent.
Je peux déplorer que le monde soit aussi boueux que je le vois, et que nos corps ne soient que charogne, mais je peux aussi vouloir me garder propre et ne pas devenir cruor moi-même.