Citations sur L'attachement (22)
Mon chère H. peux tu me dire ce que devient l'amour premier? La trace qu'il laisse est-elle unique? Chemine -t-il en nous souterrainement? Se réincarne-t-il? Où va-t-il?
Les écrivains sont -ils des pervers, ( pères et verts), des victimes, des décadents, des esthétes,des pornographes, des excentriques, des enchanteurs, des machos, des hédonistes, des profiteurs, des bêtes de sexe, des idéalistes, des animaux , des pédophiles, des enfants, des ogres, des monstres, des héros, des fous...?
Et elles?et les femmes?
Quand je repense à tes parents , je me souviens que le choix de leurs mots , le timbre de leurs voix , leurs regards , tout était pris dans un formidable flux sensoriel . Tu sais qu'au XVIIIème siècle on disait "faire l'amour" en parlant de personnes qui , sans être au lit , entretenaient une conversation galante ? Au fond , tes parents ont , sous mes yeux , fait l'amour dès leur première rencontre !
Combien suis-je ? Est-ce que tu ressens ça toi aussi ? Cet émiettement. Tous ces "je" dépareillés qui s'épient sans se comprendre. Celui qui parle et celui qui écrit, celui qui aime et celui qui raisonne, celui qui s'enflamme et celui qui doute. Il y a en moi quelqu'un qui agit et quelqu'un qui se regarde agir. Le second dit à l'autre : "Pourquoi as-tu fait cela ? Pourquoi l'as-tu-fait ?"
J'allais mal avant de te rencontrer. Mélancolie chronique. On m'avait traînée chez plusieurs psychiatres mais, secrètement, je restais dans le noir, fascinée par le pire. Plusieurs fois, j'aurai voulu enjamber les balustres de la tourelle ou m'enfoncer dans la rivière avec des pierres dans les poches.
Ta voix est une caresse. En classe, elle effleure ma nuque, m’enveloppe de son phrasé. Quand tu lis Les Fleurs du mal en me regardant, c’est comme s’il y avait des mains au bout de tes mots. Des mains-mots qui me frôlent. Des mains-sons qui papillonnent autour de moi, touchent mes épaules, se posent sur mon cou. Moments d’ivresse. Confusion délicieuse. Tout mon corps écoute.
Grâce à toi je découvrais simultanément deux continents, la littérature et mon propre corps.
Au total, nous serons restés « ensemble pendant » sept ans.
Sept ans. Ensemble. Attachés.
« Je n’aime pas ce mot, attachement », m’a dit une amie récemment. Elle m’a rappelé « Le Loup et le Chien ». La remarque du loup atterré : « Attaché ? Vous ne courez donc pas où vous voulez ? » Pour elle, la relation amoureuse s’accommode mal des liens, cordes, laisses, colliers… Mon amie entend attacher au sens de fixer, ficeler, épingler, enchaîner… Moi, j’aime ce mot, attachement. La tendresse s’insinue. L’estime aussi.
Combien suis-je ? Est-ce que tu ressens ça toi aussi ? Cet émiettement. Tous ces « je » dépareillés qui s’épient sans se comprendre. Celui qui parle et celui qui écrit, celui qui aime et celui qui raisonne, celui qui s’enflamme et celui qui doute.
Qu’est-ce qui se joue en nous lorsque nous nous éprenons d’un être dont nous n’aurions jamais dû nous approcher ?