« Aimer, c’est souffrir, se dit-elle. A quoi bon se créer des misères, alors que la vie en est si prodigue ? Je veux me marier, d’une part, pour atteindre à une certaine honorabilité, d’autre part, pour assurer ma sécurité matérielle. Un point c’est tout. Pas d’attendrissement ridicule. Si je me cramponne à cet homme, c’est que j’ai la certitude qu’il est bourré de fric. Ce n’est pas lui que j’aime, c’est son portefeuille. S’il était pauvre comme un rat d’église, est-ce que je le trouverais toujours aussi séduisant ? »
Les fées qui s’étaient penchées sur le berceau de Nadine, lui apportant fortune et intelligence, avaient dû oublier la beauté. Muriel eut la vision d’une étudiante à lunettes et à pieds plats, aux traits ingrats, au corps sans attrait. Une impression d’euphorie lui dilata le cœur. Au moins, toute pauvre qu’elle était, elle possédait ce que Nadine n’avait pas reçu en partage : un visage et un corps séduisants.
— Si un amateur a du talent, il réussit. Croyez-moi, celui-là ira loin.
— Mais non, je connais Marchal, il ne peint que pour son plaisir.
— … ou pour devenir célèbre.
— Et riche.
— Nullement. La gloire, il s’en moque. L’argent, il en possède suffisamment pour le dédaigner.
— C’est vrai. La meilleure preuve c’est qu’il refuse obstinément de vendre ses toiles, même aux prix les plus élevés.
Une naïve jeune fille peut se méprendre sur l’intention d’un regard, d’un geste ou d’un mot. Une femme discerne aisément l’amour de la convoitise. Mais lorsque cette femme est rouée, elle sait habilement se servir du désir qu’elle inspire pour aiguiser la passion de son soupirant et faire de celui-ci son esclave.
Mon crime n’est pas d’aimer, mais d’hésiter entre deux amours. Deux hommes font également battre mon cœur : le père et le fils. Pour reprendre le langage d’Édith : un barbon et un collégien. Heureusement que tatie ignore mes débats intérieurs !