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sur 196 notes
Les braves gens ne courent pas les rues, c'est vrai, mais les bons livres non plus. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais d'après moi, Flannery O' Connor a signé l'un de ceux-là, indubitablement. Flannery O'Connor, c'est d'abord un style, une façon bien à elle de dépeindre ses personnages, de les ficher dans des lieux qu'on imagine sans peine et qu'on croit voir défiler devant nous dans chacune de ses nouvelles.

Une part prégnante de ce style tient aussi à l'humour, omniprésent sous sa plume, mais pas de cet humour gras, qui colle aux doigts, aux pages, au texte. Non, imaginez plutôt un regard en coin, pétillant, espiègle, non dénué d'ironie, de sarcasme même, parfois, et qui balaye de temps à autre les draps de votre corde à linge, comme les souffles d'une gentille brise d'été.

Tout ceci donne une impression de tranquillité, de légèreté, de plaisant, de micro farce. Vous roulez paisiblement, avec le ron-ron du moteur, sourire aux lèvres, vitre baissée, un coude à la portière et puis PAF !, au moment où vous vous y attendiez le moins, subitement, Flannery O'Connor change de ton, donne un grand coup de volant et serre le frein à main à bloc.

Demi-tour à la barbare, vos pneus crissent à vous rompre les tympans, votre sourire s'évapore, vous vous retrouvez hébétés à contre-sens dans un nuage de poussière. le moteur calé. Silence. Vos commissures s'affaissent, vos yeux s'arrondissent, votre front se plisse, une inquiétude sourde et noire volète maintenant par saccade autour de vous, comme une vaurienne chauve-souris. Tandis qu'un fort malaise s'empare de vous, elle vous laisse là, Flannery, en plan au beau milieu de la campagne, le cul sur votre siège, le volant entre les mains et les guibolles qui flageolent, dans l'incertitude la plus totale, à ne plus savoir si vous devez en rire ou en pleurer, à ne plus savoir qu'en penser, ni où vous êtes, ni comment vous vous appelez.

Voilà, c'est ça le style Flannery O'Connor dans Les braves Gens ne courent pas les rues. C'est une expérience littéraire particulièrement savoureuse, typique, typée, et comme tout ce qui est typique et typé, qui ne conviendra pas forcément à tout le monde. En tout cas, quand ça accroche, ça vous laisse un goût unique dans le palais et je ne serais pas surprise que cette auteure ait influencé grandement quelqu'un comme Alice Munro.

Je dois vous avouer que je ne m'y attendais pas. Alors je suis allée voir d'un peu de plus près qui était cette écrivaine, dont le renom n'avait jusqu'ici que vaguement effleuré mon oreille. Je découvre une drôle de personne, sosie quasi parfaite de mon ex-tante Ghislaine avec laquelle je ne partage pas que des bons souvenirs. Je lis que la dame était fervente catholique et comprends à présent pourquoi je lui trouvais un air de bigote effarouchée, un ferment de bonne-soeur. Mais comment diable cette évadée du couvent arrive-t-elle à pondre par dizaines des nouvelles fulgurantes, troublantes, dérangeantes ?

À la lecture, j'aurais presque cru qu'elle était puissamment athée et qu'elle voyait d'un oeil revêche la pratique religieuse. C'est étonnant, pour moi, les deux visions du personnage ne cadrent pas du tout l'une avec l'autre : dans l'une je perçois une brave pécore moralisatrice, très sage, très propre sur elle, rigide (avec ou sans f devant), assise sur les bancs de l'église, les cuisses bien serrées avec ses petits gants blancs et son sac à main sur les genoux ; de l'autre, je vois un regard acéré, féroce, lucide sur la société, des sens aiguisés, à fleur de peau, ultrasensibles, ultrajouissibles, ultracontagieux ne s'interdisant aucune outrance.

Voilà le mystère Flannery O'Connor pour moi. La seule réponse que j'aie pu trouver jusqu'à présent, c'est que sur le berceau de la dévote, un ange de la littérature a déposé le génie, le germe rare dont tous les écrivains marquants sont infusés, aussi improbable que puisse être leur milieu d'extraction.

Alors, c'est vrai, toutes les nouvelles de ce recueil ne m'ont pas toutes autant plu les unes que les autres. Certaines m'ont même franchement laissée indifférente : ce fut le cas par exemple d'Un heureux Événement ou des Temples du Saint-Esprit. Mais en revanche, je considère des nouvelles comme Tardive rencontre avec l'ennemi, Les braves Gens ne courent pas les rues ou encore La Personne déplacée comme des petits chefs-d'oeuvre, chacune à leur façon, surtout si l'on considère que l'auteure n'avait que 28 ans lors de la publication.

En somme, je vous dis bravo, chère Flannery O'Connor et merci pour ce moment que vous m'avez fait passer. Pour le reste, souvenez-vous que les bonnes critiques ne courent pas les rues et que celle-ci ne déroge pas à la règle. Comme toutes les autres, elle ne reflète que mon avis du moment, ce qui doit forcément vous inciter à prendre du recul avec toutes et à songer qu'elles ne signifient, dans le fond, pas grand-chose.
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« La personne déplacée », dernière des dix nouvelles de ce recueil, évoque le drame des familles slaves contraintes de fuir leur patrie envahie.

Publiée en 1954, « la personne déplacée » était polonaise ; en cet hiver 2022 le lecteur la visualise ukrainienne, avec un nom imprononçable « quelque chose comme Gobblehook » comme Mrs McIntyre et Mrs Shotley l'avait appelée avant de la renommer plus simplement en « Guizac ».

Quand la famille Guizac est recueillie dans la ferme des McIntyre, elle se révèle plus productive et plus compétente que les employés autochtones. M Guizac fait merveille au volant du tracteur et autres engins agricoles, qu'il sait réparer, et ses connaissances agricoles sont incontestables.

Avec avidité, Mrs McIntyre voit immédiatement le profit apporté par « la personne déplacée » qui va largement compenser la dépense consentie pour les héberger. Les employés, au fin fond de la campagne étasunienne, voient d'un mauvais oeil la concurrence et la perturbation ainsi provoquée par la guerre en Europe.

En quarante pages, Flannery O'Connor, démonte avec férocité et humour une certaine compassion pour les réfugiés qui est une caricature de la vraie solidarité. Les portraits des personnages sont aussi concis que précis et l'intrigue haletante et saignante.

« Les braves gens ne courent pas les rues » … espérons qu'aujourd'hui, nous hébergerons « la personne déplacée » d'Ukraine … sans tragédie !
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A l'époque où les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) dominent les grandes villes et occupent les hautes sphères du pouvoir, dans les années 50, Flannery O'Connor, native du Sud, écrit ses nouvelles inspirées par l'Amérique profonde et ses grands espaces où se déploient des personnages étranges et surprenants, énigmatiques, truculents ou misérables. Un monde perdu et disparu où Noirs et Blancs se côtoient -en se regardant de travers-, l'évocation d'une certaine misère sociale, une succession d'histoires parfois très courtes, ponctuées de chutes parfois brutales. Racontées avec humour ou intensité dramatique, certaines de ces nouvelles-mais moins de la moitié selon moi- bien ciselées illustrent ce passé lointain d'une Amérique peu connue…
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Etonnamment, c'est par Katherine Pancol que je suis arrivée à Flannery O'Connor. La Katherine Pancol des débuts, je précise, pas celle des derniers temps et des best-sellers démagos. Celle qui s'est inspirée de 'Les braves gens ne courent pas les rues' pour choisir le titre d'un de ses meilleurs romans 'Les hommes cruels ne courent pas les rues' et a fait étudier à son héroïne les nouvelles de Flannery O'Connor dans un cours de creative writing...

Longtemps après cette lecture, je m'en suis souvenue et j'ai décidé de suivre à mon tour les braves gens du Sud des Années 1950. Le bilan est toutefois un peu mitigé : j'ai beaucoup apprécié le style, à la fois précis et très évocateur, ainsi que la façon de camper en 5 lignes au début de chaque nouvelle une histoire et des personnages. Ca m'a fait penser à Alice Munroe, l'écrivain qui m'a fait aimer les nouvelles. Une qualité d'écriture qui ne court pas les rues...

Cela dit, c'est difficile d'être marqué par des histoires si courtes, tantôt vaines et tantôt insensées, en tout cas au message souvent mystérieux pour moi. Ainsi des deux premières nouvelles du recueil, celles du serial-killer en vacances et du petit garçon qui se jette dans le fleuve, que j'ai terminées en me demandant 'et alors ?'. J'ai mieux aimé 'La personne déplacée', chronique brillante et terrifiante du racisme et de la méchanceté ordinaires ou même 'Un heureux événement' qui nous met dans la tête d'une drôle de femme...

Parfois datées et pas politiquement correctes dans leur vocabulaire, les histoires nous plongent vraiment dans les Etats du Sud des Etats-Unis juste après la seconde guerre mondiale. Une ambiance très rurale, souvent déprimante avec son lot d'intolérance, de bêtise et d'obscurantisme religieux. Mais une ambiance intéressante à découvrir.
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Dans mon voyage littéraire interstellaire, ce sont comme autant d'astres à découvrir, d'étoiles qui me clignent de l'oeil, ces autrices et auteurs mythiques que j'ai la chance enfin d'approcher, parmi lesquelles la grande Flannery O'Connor, qui malgré une vie brève et marquée par une maladie incurable, a produit une oeuvre littéraire stupéfiante, qui ne ressemble à aucune autre.

Et j'en débute la lecture par celle du célèbre recueil de dix nouvelles « Les braves gens ne courent pas les rues », dont la première donne son titre au livre. Une lecture que je projetais de faire depuis longtemps, et voilà que c'est accompli, donnant l'envie d'en lire d'autres et je projette de poursuivre ma découverte par « Mon mal vient de plus loin ».

Une oeuvre féroce dans sa description cruelle de toutes les facettes du mal, de la bêtise à la méchanceté, et féroce aussi par son humour qui donne encore plus de relief aux travers détestables de notre humanité.
Mais, selon l'autrice, catholique convaincue et fervente, dans un Sud des Etats-Unis où la tradition protestante sert souvent de paravent aux pires comportements, cette vision où les humains sont mesquins, bêtes et méchants, c'est celle d'une humanité ratée qui ne peut être sauvée que par la rédemption divine (Ceci dit, on n'est pas obligé de la croire totalement pour la lire!)

Car dans toutes ces nouvelles, ce sont des êtres au mieux d'une grande bêtise, comme ce grand-père borné et raciste de « le Nègre factice », qui, en voulant montrer à son petit- fils ce qu'est la grande ville, se perdra, et ne devra son salut qu'à un noir de cette ville, ou bien ces deux jeunes écervelées de « Les temples du Saint-Esprit », ou encore cette femme rondouillarde qui refuse avec force l'idée d'enfanter et sur laquelle s'abat une grossesse qu'elle nie dans «Un heureux évènement » , ou enfin ce grotesque général de cent quatre ans, amateur de jolies filles, qui assiste à la soutenance de Thèse de sa fille de soixante six ans!
Mais il y a aussi des prédicateurs fous dont les discours vont conduire à la mort un enfant exalté dans « le fleuve », un jeune vendeur de bibles qui se révèle être un horrible pervers dans « Braves gens de la campagne », etc…
Et enfin il y a tout ce monde des petits propriétaires blancs, sournois, mesquins, racistes, imbus d'eux-mêmes, dont la cupidité, la volonté de pouvoir sur l''autre, l'employé, donc « l'inférieur», peut conduire au crime atroce dans « La personne déplacée », la plus extraordinaire selon moi des nouvelles, tant par sa construction que par son écriture.
Et pour terminer, celle qui donne le titre au livre, où comment la parole voulue bienfaisante d'une vieille grand-mère sera sans effet sur un féroce assassin évadé de prison.
En fait, tout le monde est bête et/ou méchant, les enfants avec ceux qui les hébergent, la fille avec sa mère, ou son père, le grand-père avec son petit-fils, les propriétaires avec leurs employés, les prêtres, les prédicateurs, personne n'est épargné.

Mais si c'est cruel, qu'est ce que c'est drôle. On rit, jaune certes, mais on rit de toute cette accumulation invraisemblable de la laideur humaine.
Et le lecteur est entrainé par ces histoires, par leur rythme et leur écriture, l'emploi de l'argot, si bien rendu par le traducteur, une personne que l'on oublie souvent, et qui est si importante pour nous restituer la substance d'un livre.
Car il faut lire la façon dont c'est raconté, l'humour décapant, la construction, la concision, l'art de la chute, souvent terrible, parfois moins.
Et puis, Flannery O'Connor est une autrice du Sud des États-Unis, de ce Sud de petites gens, misérables, qu'ils soient blancs, et encore plus « nègres », un mot que l'on ne peut plus écrire, mais qui correspond bien au contexte des années 1930-1940.
Mais aussi une autrice bien différente, de ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, de l'autre écrivaine du Sud, Carson McCullers, à l'écriture poétique et pleine d'humanité.
Ici, c'est la description cruelle et tellement drôle de l'être humain dans toute sa bêtise et sa malfaisance .
Mais, bien sûr, il n'y a aucun intérêt à comparer O'Connor et Mc Cullers, c'est comme si on voulait comparer Beethoven et Mozart, Rembrandt et Picasso, les chutes du Niagara et le Lac Majeur, ou même Poutine et Staline (encore que…).
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La Georgie dans les années 50, racontée en dix nouvelles implacables.
En quelques mots, nous voici dans la chaleur étouffante du Sud: bouteilles de coca-cola gardées au frais, chemins poussiéreux, blancs et noirs cohabitant, décrits sans complaisance.
Flannery O'Connor a l'art du portrait: l'aspect physique, la manière de se tenir, la voix, le regard, les pensées, tout y passe, et ce sont en général les dames qui trinquent.
Apparaît de temps en temps une gamine plus maligne que le reste et qui a un air de Frankie Adams - Carson McCullers -, ce sera elle qui portera ce regard critique et pourtant naïf sur ces mesquineries mêlées de stupidité qui l'entourent.

Ces dix nouvelles, à l'atmosphère bien caractéristique, sont un délice à lire, bien que l'arrière-goût soit amer. Et c'est confinée chez elle, dans sa grande demeure, que Flannery O'Connor écrira ces récits sur son univers contemporain.
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Livre dont on entend beuacoup parler et que j'ai lu par curiosité. Flannery 0'Connor décrit l'Amérique du rêve américain, mais, hélas, pour ses personnages la vie n'est pas un rêve.
Dans chacune de ces dix nouvelles, des braves gens sont confrontés à des salauds et s'en tirent tant bien que mal, souvent plutôt mal.
Une grand-mère est en butte à la famille de son fils qui l'héberge et lui fait sentir chaque jour combien elle a de la chance et pourquoi elle doit accepter leurs railleries sans broncher...
La brave Mrs Connin a la charge du fils d'un couple de marginaux qui la font tourner en bourrique et moque ses croyances religieuses.
Dèjà en but aux taquineries de Mrs Pritchard, la femme de son fermier, Mrs Cope a trop bon coeur et se fait flouer par le fils d'une ancien employé.
Nelson, né à Atlanta n'a que dix ans mais un caractère bien trempé, il en fait voir de toutes les couleurs à son grand-père Mr Head. Quand ce dernier décide de lui donner une leçon, les choses partent en vrille.
Mr Shiflet, un trimardeur manchot, n'hésite pas à flouer une vieille femme et sa fille handicapée.
Un vieux général de 104 ans doit assister à la remise de diplôme de sa fille de 62 ans...
Ruby cherche à se persuader qu'elle couve une maladie grave alors qu'elle n'est qu'enceinte de quatre mois, une catastrophe pour elle...
Des portraits d'une Amérique proche de celle des Raisins de la colère. La pauvreté y est omniprésente, la religion aussi qui donne aux braves gens une explication facile, acceptable et rassurante des raisons de leur situation.
Vous avez quatre abcès dentaires mais Dieu aurait pu vous en donner cinq ou plus, remerciez-le assure Mrs Cope à Mrs Pritchard, en rajoutant je ne manque jamais de remercier Dieu chaque jour, des grâces qu'il me fait...
Certains pourraient rire des situations décrites par l'auteure, mais si elle fait preuve d'un humour parfois grinçant, le drame n'est jamais loin ramenant le lecteur à la triste réalité.
Zones rurales abandonnées, villes segmentées en quartiers et ghettos, services publics et sociaux cruellement absents, indifférence des citoyens entre eux, travail partisan de la police, enfance laissée en déshérence...
Dans cette société, malheur à celui qui est sur le dernier barreau de l'échelle sociale, il est le bouc émissaire idéal pour celui qui le précède et qui en fait la source de tous ses maux. Réflexe connu du petit blanc ciblant le noir ou l'immigré.
Paradoxe maintes fois vérifié jusqu'à aujourdh'ui dans l'Amérique de Trump où l'on a glorifié celui qui exploite pour vilipender les étrangers, les noirs où les communistes supposés être à l'origine de tous les malheurs de la société.
Livre de référence qu'il faut lire absolument. Pour son côté rageur et iconoclaste. Pour sa remise en cause de l'obscurantisme religieux. Pour son côté libérateur. Pour son actualité malgré son grand âge.
Rien n'a changé ou si peu entre l'année de sa première publication en 1953 et 2021. Les braves gens ont toujours du souci à se faire, les salauds ont de beaux jours devant eux...
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Le recueil est composé de dix nouvelles dont l'action se situe dans le Sud des Etats-Unis dans les années 50, un Sud arriéré, pétri de religion, croyances et préjugés, pas encore sorti de la guerre de sécession et de la ségrégation.
Les rapports de classe et de race sont exacerbés, entre les maîtres et les serviteurs, les propriétaires et les ouvriers agricoles. Les noirs, "nègres" dans le livre, font partie du paysage, en arrière plan, pas vraiment humains, inspirant le désintérêt, voire la peur. Ce sont des ombres qui se profilent à l'horizon. Les juifs rescapés de la Shoah apparaissent également.
Il y a toujours un plus faible que soi, à qui on peut asséner des vérités, avec qui pérorer, mais parfois les situations connaissent des retournements spectaculaires, ou de brusques accélérations dramatiques, comme dans la première nouvelle Les braves gens ne courent pas les rues, qui commence comme une comédie et bascule subrepticement dans l'horreur, en nous cueillant à froid.
Les historiettes relatent fréquemment des rencontres fortuites, malencontreuses entre des personnages suffisants, trop sûrs d'eux, naïfs, et des escrocs, psychopathes qui les ensorcellent et manipulent.
Ce sont parfois des histoires de duperie, de supercherie, où des vieilles filles au physique ingrat, handicapées, sous le joug de leur mère, sont la proie de bonimenteurs et autres charlatans.
Les prédicateurs sont légion, mais la religion n'apporte aucune rédemption, aucun secours, dans ce monde violent, où paranoïa, jalousies et haine de l'autre dominent, et où la mort interrompt souvent le cours des évènements.
Et pourtant, le ton des récits est léger, badin, masquant la cruauté sous des dehors cocasses, et c'est ce qui en fait l'originalité et la puissance narrative.
Où Flannery O'Connor est-elle allée puiser son inspiration ? Dans son histoire personnelle, marquée par une grave maladie invalidante qui l'emportera, après son père, à l'âge de 39 ans, par une vie à la ferme avec sa mère, dans un contexte de religion et de racisme ? Elle a incontestablement fait preuve de dons d'observation stupéfiants qui lui ont permis de livrer des contes alliant noirceur et véracité sociale.
Leur lecture m'a permis de mieux appréhender le Southern Gothic, et de mesurer l'influence que Flannery O'Connor a eue sur des écrivains, parmi lesquels Joyce Carol Oates.
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Merci à Guillaume Galienne et sa magnifique émission "ça ne peut pas faire de mal" sur France Inter. C'est grâce à lui que j'ai acheté ce recueil de nouvelles. Je suis très surprise d'être la première à en faire la critique, et un peu intimidée, du coup...
C'est excellent. C'est du grand art, d'autant que l'art de la nouvelle n'est certainement pas des plus aisés. C'est concis, percutant, parfois glaçant. Elle nous conte le destin de petites gens dans le sud des Etats Unis, des destins sombres, parfois terribles: une famille partant en vacances, enfants insupportables et belle-mère envahissante, qui rencontre un serial killer; un jeune garçon, délaissé par ses parents, tombant sous la coupe délétère d'un prédicateur illuminé...
En quelques mots, l'atmosphère est donnée, une atmosphère lourde, où couvent violence, racisme, méchanceté et peur de l'autre.
Une grande plume, qui rivalise sans peine avec les novellistes talentueux que sont Raymond Carver et Alice Munroe.
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A good man is hard to find
Traduction : Henri Morisset

Un recueil de dix nouvelles qui démarre très, très fort avec celle qui donne son titre à l'ouvrage. Tout commence pourtant en douceur, avec une paisible famille de fermiers qui a pour projet un petit voyage en Floride. La grand-mère, femme rigolote et avisée, y est seule hostile : elle en tient pour le Tennessee qu'elle n'a pas vu depuis des années. Elle fait donc des pieds et des mains pour que son fils, Bailey, de guerre lasse, se résolve à suivre son avis. Et c'est bien ce qui arrive. Mais la fin de l'histoire prouve en effet que "les braves gens ne courent pas les rues", encore moins les routes du Sud et que, sur celles-ci, on peut croiser de bien méchants loups ...

Bien entendu, après un texte de cette puissance qui a, de surcroît, l'avantage d'un style tranquille et matois, écrasant de naturel, le lecteur se dit qu'il ne pourra obtenir mieux des nouvelles suivantes. Mais Flannery O'Connor poursuit allègrement la peinture d'un univers fait de petites gens souvent très simples et qui, à des problèmes simples, trouvent des solutions tout aussi simples mais aussi bien cruelles.

Dans "Le Fleuve", Bevel, un jeune garçon impressionné par l'un de ces baptêmes en plein air qu'affectionnent certains prédicateurs, va droit à la noyade sans même en avoir conscience.

"C'est peut-être votre vie que vous sauvez" raconte les tribulations opportunistes de Mr Shiftlet, mi-ouvrier agricole, mi-vagabond, qui accepte d'épouser la fille attardée d'une vieille fermière avant d'abandonner la malheureuse à l'une des étapes de leur voyage de noces.

"Un heureux événement" décrit de façon très noire les angoisses d'une femme enceinte. "Les Temples du Saint-Esprit" revient à ce mélange de spectacle de foire et de religiosité quasi hystérique que sont les prêches américains.

"Le Nègre factice" - la plus attendrissante de ces nouvelles sans doute - s'attache au périlleux voyage de deux ruraux, le grand-père et son petit-fils, perdus dans les méandres de la Ville. "Un Cercle de Feu" voit de petits voyous tenter de mettre le feu à une ferme sudiste. Quant à "Tardive rencontre avec l'ennemi", drôle et ironique, elle nous fait assister aux derniers instants d'un centenaire qui a connu l'armée confédérée et a même fait de la figuration sur le plateau de tournage d'"Autant en emporte le vent."

Mention spéciale à "Braves gens de la campagne", où un curieux VRP tente de séduire une jeune femme amputée d'une jambe et s'enfuit avec sa prothèse, et aussi à "La Personne Déplacée", variation habile sur le thème du racisme et de la différence qui fait peur.

La subtilité de Flannery O'Connor, sa roublardise suis-je tentée d'écrire, le ton narquois que l'on perçoit à l'arrière-plan de chacun de ces textes ne laissent certainement pas indifférent. Pourtant, lors d'une première lecture, certains passeront peut-être à côté de tout cela.

En effet, les personnages qu'elle nous dépeint sont rarement sympathiques même si elle ne porte pas de jugement de valeur sur eux. Tous ont quelque chose qui cloche : une idée fixe, un défaut d'empathie, un égoïsme forcené, le désir de profiter de tout sans rien donner, voire une perversion réelle quand la peur de perdre leur situation ne les pousse pas finalement au crime.

Bref, ce ne sont pas des héros. Ils sont terriblement humains certes mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'aucun d'eux ne représente précisément ce qu'il y a de meilleur en nous. En outre, la simplicité tranquille de leurs raisonnements est souvent déconcertante.

Une relecture s'imposera donc. ;o)
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