Elle n’a pas insisté, cependant. Cette discrétion est une qualité assez exceptionnelle, chez une mère, surtout quand il ne s’agit pas d’un authentique manque d’intérêt]… [Aucun tabou, mais pas de curiosité déplacée non plus.
Bryan lui avait montré son manuscrit, son "magnum opus" intitulé Le dernier chauffeur de bus. " Eh bien, murmura poliment Martin en le rendant à Bryan, c'est vraiment différent. Vous savez écrire, ça ne fait pas l'ombre d'un doute." Il ne mentait pas, Bryan savait écrire, il savait prendre un stylo à encre turquoise et faire des lignes d'écriture, des grosses boucles, des jambages, des lettres bien liées, saupoudrer des verbes au hasard dans des phrases dont la moindre virgule, le moindre point d'exclamation annonçait en toutes lettres fou à lier. Mais Bryan savait où Martin habitait, alors il n'allait pas le contrarier.
Mais moi, je veux aller en Floride ! C'est vrai, quoi ! J'ai une allure dingue, en bikini ! Toutes les femmes qui peuvent se mettre en bikini devraient avoir le voyage payé en Floride ! Si tu veux mon avis, il faudrait que ce soit une condition pour y être acceptée, même !
Elle voulait me montrer qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre que l’on n’a pas été oublié.
C’est pour ça qu’il faut toujours apprendre à se débrouiller tout seul. Parce qu’on n’est jamais sûr que les autres seront toujours là.
Je sais que cette gamine ne peut pas dire merci : ce serait reconnaître que j’ai fait un geste pour elle.
Désormais, ils partaient au travail un par un mais en même temps, dans une solitude synchronisée.
Le jour où Gertie s'est effondrée, j'ai regardé mon père partir au travail comme tous les matins. Les hommes de ce quart appelaient ça "le matin", mais pour moi c'était encore la nuit, noire, glacée, silencieuse à l'exception du lointain grondement que produisaient les fours à coke chaque fois que les portes s'ouvraient sur l'enfer rugissant à l'intérieur. De la fenêtre de ma chambre, je les distinguais, alignés sur le flanc de la colline, leurs gueules s'illuminant de rouge avant de replonger dans le noir, à un rythme régulier, dizaines d'yeux embrasés qui clignent en observant notre vallée.
Je me redresse, cherchant Art des yeux. J'ai besoin d'un autre verre. Je regarde des deux côtés du bar. J'ai l'impression de le découvrir enfin, mais son visage s'est bizzarement allongé et sa peau a pris une teinte brunâtre. Il me faut un moment pour me rendre compte que je suis entrain de fixer la tête de cerf empaillée au-dessus de la porte.
Je suis frappé par l'intensité de sa solitude, brusquement. Ce n'est pas un mur infranchissable et aveugle qui l'entoure, mais plutôt une brume à travers laquelle on la distingue sans vraiment pouvoir la trouver.