Mars 1967, le souvenir noir charbon de l'explosion puis de l'effondrement de Gertie, une mine dont l'accès couronne le sommet d'une colline de Pennsylvanie avant de sombrer dans les profondeurs de la terre. le petit Ivan, cinq ans, prenait son bol de céréales juste avant le saisissement de la déflagration, les bris de verre des fenêtres, les pleurs de sa petite soeur Jolene. Sa mère, un instant figée, lui a saisi le bras pour sortir et se précipiter vers la fumée noire expulsée par Gertie. le puits d'accès n'est plus, et sa mère a perdu un père, un frère, un mari.
Depuis quelques mois, plus d'une trentaine d'années plus tard, Ivan est chérif adjoint à Centresburg, ville voisine de Coal Run. Il avait quitté cette région minière pour fuir son état de footballeur déchu suite à un accident lui ayant broyé un genou. Après seize ans passés en Floride, seul un article du journal local de sa région natale, envoyé anonymement, l'a décidé à revenir. Cette coupure de presse mentionnait la libération de Reese, incarcéré pour avoir battu sa femme, dix-huit ans en arrière. Mais pourquoi a-t-elle suscité instantanément chez Ivan le besoin d'un
retour à Coal Run ?
Sur six journées qui tournent autour de cette sortie de prison, Ivan va faire ressurgir quelques traits du passé tout en nous plongeant dans une communauté dont l'héritage minier est encore bien présent. Les jeunes qu'il fréquentait avant de partir pour la Floride tentent difficilement de vivre le présent leur offrant souvent de longues périodes de chômage et de désoeuvrement qu'ils noient alors dans l'alcool. Pour éviter l'inculpation, donc encore plus de misères aux familles, Ivan se contente souvent de confisquer les armes (qui ne manquent pas dans cette Amérique !) afin de contrer tout homicide.
Notre narrateur prend également sa place dans la file des buveurs du bar jusqu'à s'embrumer complètement l'esprit, les souvenirs floutés par les vapeurs d'alcool. Car plus il avance dans son histoire et plus il se dévoile, attendrissant de moins en moins le lecteur sur son passé.
Avec une plume entraînante, ce roman mêle intelligemment l'intime à un état social extrêmement intéressant de ce coin de Pennsylvanie occidentale. Dans l'enfance d'Ivan, la fabrique de pneus crachait sa fumée bleutée, le charbon remplissait les wagons dans la gare de marchandises, l'usine d'excavatrices faisait entendre ses battements sourds. Aujourd'hui, rien ne s'échappe des cheminées, la rouille, les ruines, le silence s'étendent sur la zone abandonnée. Un peu plus loin, des pavillons, des fast-foods, des bureaux offrant de nouvelles activités ont remplacé l'industrie minière.
L'autrice, pour dépeindre la ville fantôme de Coal Run, devenue en grande partie inhabitable et irrespirable de par son odeur de souffre, s'est appuyée sur Centralia, une autre ville minière du même État consumée par des feux souterrains, brûlant toute végétation par les racines et laissant des crevasses dévoilant parfois la fournaise des galeries en feu. Fascinée par ces lieux, sa documentation étayant parfaitement son ouvrage, elle revient sur la vie de ces mineurs et dévoile au lecteur cette terre hantée par les travailleurs ensevelis. Ses descriptions de la zone houillère et ses alentours sont saisissantes.
En s'attachant à une poignée de personnages, elle fait un état des lieux de la fin de cette industrie minière qui a également sonné la fin d'une communauté soudée qui vivait quasiment en huis clos. Aucun manichéisme chez ses protagonistes, ils apparaissent avec leurs erreurs, leurs défauts, leurs déterminations ou leurs lâchetés.
La soeur, Jolene, mère célibataires de trois garçons de trois pères différents assume pleinement ses choix et défend avec aplomb son mode de vie devant les réflexions de son frère qui est bien loin de la représentation d'un aîné modèle ! le docteur mérite aussi vraiment d'être connu, un médecin comme il n'en existe plus je crois, car la violence est latente dans les familles et la misère n'est jamais loin.
Par le retour de l'ancien voisin d'Ivan, une petite incursion dans la guerre du Vietnam vient rajouter une couleur sombre au tableau de cette Amérique reculée s'enlisant dans la fin de l'âge industriel.
Enfin, ce roman explore avec beaucoup d'à propos, la puissance qu'exerce le lieu d'où l'on vient, malgré les traumatismes que ce petit bout de terre natale soulève parfois.