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Critique de berni_29


Andrew J. Rush a tout pour être comblé. Écrivain à succès de romans vendus à plusieurs millions d'exemplaires dans le monde, c'est aussi un époux et père de famille heureux. Il vit le parfait amour avec une femme qui le lui rend bien, une certaine Irina... C'est dans leur charmante maison à la périphérie d'une petite ville tranquille du New Jersey, à l'ombre de cet amour non moins paisible qu'il trouve l'inspiration pour édifier pas à pas son oeuvre.
Son oeuvre ? Oui, parlons-en si vous le souhaitez. Ce sont des romans policiers construits toujours sur le même registre. Les femmes sont traitées avec bienveillance, il n'y a jamais d'obscénité ni de sexisme. Les cadavres sont généralement de sexe masculin, blancs, adultes. C'est du politiquement très correct. L'écriture est lisse pour se lire facilement, séduire et emporter le lecteur jusqu'au bout de la nuit. Et surtout à la fin, la morale est toujours sauve.
C'est un peu comme si Marc Levy ou Guillaume Musso écrivaient des polars, vous voyez ? Ah ils en écrivent ? Pardon, je l'ignorais totalement... Oui, mais eux ont moins de succès qu'Andrew J. Rush et n'adressent pas à chacune de leur dernière parution un exemplaire dédicacé au maître vénéré pour ne pas dire adulé, - et un peu jalousé il faut le dire, j'ai nommé le légendaire Stephen King. Hélas, pour l'instant, S.K. n'a jamais encore daigné répondre à Andrew J. Rush. Était-ce d'ailleurs la bonne adresse ?
Ça c'est pour le côté pile.
Passons à présent à l'autre versant, un peu plus sombre, le côté face, l'envers du décor. Andrew J. Rush dispose d'un alter ego narratif, oui pour être plus explicite il écrit sous un pseudonyme d'autres livres qui n'ont rien à voir avec sa production officielle. Et qui plus est, il le fait même en cachette de ses proches, de sa famille, de son éditeur attitré. Bon, rien de nouveau sous le soleil littéraire, Stephen King l'a aussi fait. D'ailleurs, je me suis laissé dire qu'une certaine Joyce Carol Oates aurait également pratiqué cet exercice, mais tout ceci doit absolument rester entre nous, hein ! N'empêche ! Bon, mon maître à moi, le grand praticien de cet art de l'esquive et de l'entourloupe magistrale sera à jamais le grand et sublime Romain Gary, prince grandiose de l'élégance et de la sensibilité, derrière ses allures rudes et brutales.
Ainsi naît Valet de pique, c'est le nom donné à ce pseudo, qui trempe sa plume dans le stupre, dans le glauque, une écriture crue, viscérale, horrifiante, comportant des dénouements sans morale à la clef.
Je ne joue jamais aux cartes, sauf à bataille où je perds tout le temps, maîtrisant difficilement les subtilités de ce jeu. Quand je serai grand, promis je me mettrai au bridge ! Connaissant cependant un peu les cartes, j'imagine bien ce qu'un valet de pique peut représenter comme allégorie.
Le thème est intéressant, cette idée de double, d'alter ego littéraire... D'alter ego tout court, cette vie qu'un homme, voulant à toutes forces fuir les souvenirs de son enfance, les ignorer, invente par son seul pouvoir de l'imaginaire, mais peut-être justement pour tendre inconsciemment une main, une passerelle, vers ce passé dont les plaies ne se sont pas totalement refermées.
Le procédé n'est pas nouveau et l'idée de départ m'a séduite.
Un fait judiciaire presque anodin va rattraper la face cachée d'Andrew J. Rush et marquer de son sceau le destin de cet écrivain qui avait tout pour surfer sur la vague de son succès et aller sur d'autres vagues, rejoindre peut-être celle plus haute de son mentor, un certain Stephen King, se hisser jusqu'à cette vague...
Ici, les thèmes de l'obsession, du mal, de la folie sont distillés avec un esprit malicieux, avec une redoutable efficacité, avec une ironie mordante oserais-je même dire, Joyce Carol Oates prenant en dérision ce procédé que beaucoup d'écrivains ont rêvé d'user, ou ont usé, à commencer par elle-même, mais aussi un certain Richard Bachman...
Une conjonction d'événements vont s'aligner, entraînant à l'insu de son plein gré Andrew J. Rush non plus sur la crête du succès, mais celle fragile qui sépare brutalement un paysage en deux, d'un côté le bonheur et de l'autre la folie... La mécanique bien huilée finit par se dérégler ; sauf son entourage, Andrew J. Rush ne sait pas aperçu qu'il commençait à boire plus que de raison. C'est bien amené...
Pourtant j'ai été un peu déçu par le ressort narratif et je ne saurai dire les raisons pour lesquelles l'histoire d'Andrew J. Rush et son sort ont fini par me lasser, rendant le récit au final peu crédible à mes yeux, d'où mon sentiment quelque peu mitigé au sortir de cette lecture. Pourtant, il y avait sans doute matière à creuser le thème pour nous amener un peu plus vers le vertige abyssal, cette idée que créer un alter ego sombre va bien au-delà du simple procédé littéraire, c'est une manière d'aller visiter les endroits encore inconnus d'une âme humaine qui recèlent peut-être des choses à révéler.
C'est un très court roman qui se lit en une nuit, m'aura-t-il manqué 500 autres pages pour creuser, disséquer, habiter ce personnage plus complexe qu'il n'y paraît, écrivain comblé qui avait tout pour être heureux auprès de sa délicieuse et tant aimée Irina ?
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