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Critique de DianaAuzou


Miss Islande – Audur Ava Olafsdottir, Zulma 2019*****
lecture en septembre 2023
C'est le troisième roman que je lis de cette écrivaine, après Rosa candida et Ör et une troisième fois je suis sous le charme d'une plume dont le beauté s'habille dans des terres glaciales à l'immense chaleur humaine, dans des espaces allant au-delà de l'horizon, dans le brûlant des volcans qui menacent tous les jours et qui tiennent parole.
La citation de Nietzsche à la première page résume en quelques mots la vérité sur la création, leitmotiv tout au long du roman : « Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse »...je reste longtemps sur cette première page, la lis et relis...
Hekla vit le jour par les soins d'un vétérinaire, « avant de prendre sa retraite, sa dernière mission fut de mettre au monde un enfant »p.17, et c'est le père qui a décidé, seul, de l'appeler du nom d'un volcan. Une enfant pas comme les autres, on la retrouvait « allongée dans les champs, à observer les nuages, ou en hiver, sur une congère, à contempler les étoiles»p21. le volcan aussi entra en éruption « au terme de cent deux ans de sommeil »p.19. Chaos et création !
L'histoire se déroule dans les années 60, période où l'Islande était encore plus loin de l'Europe et où le monde n'était pas prêt à se mettre d'accord sur un vivre ensemble grâce à nos différences. L'est-il aujourd'hui ?
L'Islande est repliée sur soi à l'époque, isolée, comme une étrangère, et Hekla, fille du pays n'a qu'une passion, un seul désir : écrire. Sauf que ce n'est pas ce qu'on lui demande et comme le monde est une compétition, on lui propose de participer à un concours de beauté. La jeune femme au nom d'un volcan incandescent refuse et continue son travail d'écriture ; quand l'éruption se met en marche elle continue quoiqu'il en soit. La jeune femme s'en va, quitte la maison et le pays, et le départ revient chez Audur Ava Olafsdottir, obsessionnel, mais pas chargé de poids, il n'est pas lourd, au contraire c'est une ouverture vers le monde, une bonne respiration, ou une libération ignorant les murs, les contraintes, les règles sévères comme celle qui dit « poète est un mot masculin »p.29 ; c'est aussi disparaître pour se retrouver, recueillir les parts éparses d ‘une incandescence, le chaos créateur.
Dans Ulysse de James Joyce, livre que Hekla emporte comme bagage précieux avec sa Remington, toute l'histoire se déroule sur une journée, sur 877 pages, ici une histoire qui commence prend moins de 300 pages, c'est le roman du début d'une histoire, c'est son introduction, le lancement dans la vie.
Il y a des volcans qui restent, peut-être, dans un sommeil permanent, il y en d'autres dont l'éruption est soudaine et violente, et d'autres encore qui s'y préparent pendant des années et une fois en jaillissement plus question d'y mettre fin.
La différence est ce qui nous sauve, nous enrichit, ce qui nous a condamnés aussi et qui, malheureusement, continue à le faire. « Je ne rentre dans aucune catégorie, Hekla», lui dit son ami homosexuel, « Je suis un accident qui n'aurait jamais dû voir le jour. Je n'arrive pas à trouver ma place. Je ne sais pas d'où je viens. Cette terre n'est pas la mienne. Je ne la connais pas sauf quand on m'y enfonce le visage. Je sais le goût de la poussière...Mon âme charrie de flots noirs. »p.61. le monde a fait déjà son long chemin de haine et le jeune homme qui se découvre pas comme les autres, semblable à d'autres, entre doublement novice dans ce mal.
Toute l'histoire du livre est une suite de petits gestes, de faits en apparence mineurs, d'échanges de lettres où les personnages enlèvent un pan de leur cape pour nous faire lire, entre les fils, une vérité intime de leur vie. Ce n'est pas le pathos, ni les larmes, encore moins les phrases longues, les interrogations et analyses psychologiques, la langue de l'autrice est simple, fluide, directe, un présent des verbes où tout se dit comme ça vient, naturellement et grâce à ça chargé d'une poésie à sentir dans chaque fibre et d'une émotion timide au pouvoir étourdissant. Hekla se souvient de la mort de sa mère: « Elle n'a pas mis longtemps à mourir. Un jour elle est là, à faire des crêpes au seigle, puis soudain, en pleine période de l'agnelage, elle n'est plus là. J'étais seule avec elle à l'hôpital quand elle est morte, mon père et mon frère étaient occupés à la bergerie. Elle était méconnaissable, elle avait du mal à respirer. Des taches sombres étaient apparue sur sa peau. J'ai posé un bouquet de pissenlits sur sa couette. En glissant ma main dans la sienne, j'ai senti sa chaleur. Puis elle a rendu son dernier soupir et sa main a refroidi. L'église aussi était froide après l'hiver. »p.127
La vie comme elle est, ce qu'elle nous apporte, ce qu'elle emporte, ce qu'on en fait, des gestes répétitifs, d'autres qu'on apprend à faire, des rencontres vécues comme des pauses scandées par les livres, la lecture, l'écriture, bols d'air avant de reprendre ou de se faire reprendre par le courant de ce qu'on doit faire, des obligations et engagements de chaque jour.
Des liens forts se créent et se nourrissent avec tous ceux qui ont vécu avant et l'héritage qu'ils ont laissé, avec les phénomènes naturels, l'univers, avec la vie des étoiles comptée en années ou secondes lumière, des liens comme la force des volcans, la résistance des cordes, l'apparence des glaciers.
La lecture de ce livre m'a fait vivre comme une intimité avec chacun des personnages, pas celle qui invite tout le monde pour dévoiler ses secrets, mais celle qui garde sa part cachée, fragile, celle qui ne raconte pas mais laisse s'en échapper un mot, une courte phrase, une émotion furtive qui passerait presque inaperçue, une chose « banale » cachant à peine la portée de sa force et de son importance, des moments/chapitres d'un journal intime.
La beauté de l'écriture de Audur Ava Olafsdottir n'a pas besoin de majuscules pour qu'elle me marque de sa présence, elle arrive en catimini emportée par le vent du Nord ou accrochée à l'éclat d'un glacier ou bien dans les cendres d'un volcan, « en Islande il est un mot pour chaque pensée qui vient au monde »p.126 Un mot est une réalité, un feu, une histoire et chaque histoire est racontée par des mots clé, et chaque mot est une fenêtre ouverte vers un ailleurs que chaque lecteur, selon ses ressentis, sa sensibilité, ses envies, son imagination peut explorer, développer, enrichir pour, peut-être, entrer dans la maison du feu, ou pour s'en éloigner. La plupart des noms islandais me sont difficiles d'accès, même si mon ouï trouve la langue très belle, mais dans les romans de Audur Ava Olafsddottir ces noms m'autorisent presque de les oublier comme repères majeurs, c'est quoi un nom disait Shakespeare dans Romeo et Juliette. Les personnages demeurent autrement, comme le vent, les volcans, la mer, les rayons de soleil ou le froid glacial. Cette grande île n'est pas isolée.
Écrire, chaos et création, tumulte, tourmente, libération et recommencement « Une phrase vient à moi puis une autre, une image se dessine, cela fait toute une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, pataud comme un phoque pris dans un filet. J'essaie d'accrocher mon regard à la lune...je demande aux phrases de s'en aller, je leur demande de rester, il faut que je me lève pour les écrire avant qu'elles s'évanouissent »p.136
Le départ de Hekla est imminent, vers un autre commencement mais, « même s'il fait toujours beau à l'étranger », lui dit son père, « tu auras froid sur le pont du paquebot. Il y aura de la houle, Hekla, il y aura du roulis et des vagues », comme dans la vie.
Un livre comme un commencement pour une histoire sans fin, l'histoire de la création, « nous sommes faits de l'étoffe de nos rêves ».p.208, « toutes les fenêtres ouvrent sur un monde imaginaire »p.224 et les mots deviendront chair.
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