La ferme des animaux

« Mais sans doute ç’avait été pire dans les anciens temps, ils étaient contents de le croire. En outre, ils étaient esclaves alors, mais maintenant ils étaient libres, ce qui changeait tout, ainsi que Brille-Babil ne manquait jamais de le souligner. »

« Brille-Babil exaltait la sagesse de Napoléon et sa bonté de cœur, son indicible amour des animaux de tous les pays, même et en particulier celui qu’il portait aux infortunés des autres fermes, encore dans l’ignorance et l’esclavage. C’était devenu l’habitude de rendre honneur à Napoléon de tout accomplissement heureux et hasard propice. Aussi entendait-on fréquemment une poule déclarer à une autre commère poule : « Sous la conduite éclairée du camarade Napoléon, notre chef, en six jours j’ai pondu cinq œufs. » Ou encore c’étaient deux vaches à l’abreuvoir, s’exclamant : « Grâces soient rendues aux lumières du camarade Napoléon, car cette eau a un goût excellent ! »

Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d'hectolitres de lait n'avez-vous pas produit l'année dernière ? Et qu'est-il advenu de ce lait qui vous aurait permis d'élever vos petits, de leur donner force et vigueur ? De chaque goutte l'ennemi s'est délecté et rassasié.

Tous les animaux sont égaux.
Mais certains sont plus égaux que d'autres.

Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l'homme et de l'homme au cochon, et de nouveau du cochon à l'homme ; mais déjà il était impossible de distinguer l'un de l'autre.

Malgré tout ,il y avait des moments où moins de chiffres et plus à manger leur serait mieux aller.

Beau-Parleur fit peu après le tour de la ferme afin de calmer les esprits. Il assura aux animaux que la résolution condamnant le commerce et l'usage de l'argent n'avait jamais été votée, ni même proposée. C'était une pure imagination, dont l'origine se trouvait sans doute dans les mensonges colportés par Boule-de-Neige. Comme quelques animaux continuaient à émettre de légers doutes, Beau-Parleur leur posa ces questions astucieuses : « Êtes-vous bien certains, camarades, que vous n'avez pas rêvé ? Avez-vous une trace de cette résolution ? Figure-t-elle quelque part dans un document écrit ?» Et comme il n'existait assurément aucune preuve attestant sa réalité, les animaux convinrent qu'ils s'étaient trompés.

Cette fois encore, les animaux éprouvèrent une vague inquiétude. Ne jamais entretenir de rapports avec les humains, ne jamais commercer, ne jamais faire usage d'argent - ces engagements ne figuraient-ils pas au nombre des toutes premières résolutions votées par l'Assemblée triomphale après l'expulsion de Jones ? Tous les animaux se rappelaient les avoir adoptées ; du moins croyaient-ils se rappeler ces votes.

Pendant le printemps et l'été, ils travaillèrent continûment soixante heures par semaine et, en août, Napoléon annonça que l'on travaillerait également le dimanche après-midi. Ces heures supplémentaires se feraient à titre strictement volontaire, mais tout animal qui s'y déroberait verrait sa ration diminuée de moitié.

Tout le printemps et pendant l'été, ce fut la semaine de soixante heures, et en août Napoléon fit savoir qu'ils auraient à travailler aussi les après-midi du dimanche. Ce surcroît d'effort leur était demandé à titre tout à fait volontaire, étant bien entendu que tout animal qui se récuserait aurait ses rations réduites de moitié.