Citations sur La bouche qui mange ne parle pas (18)
A la rompée, Koumba déposa Owoula chez lui avant de venir le chercher autour de 24 heures pour aller faire l'ambiance à Yogo santé, le plus grand bordel de la capitale, où ils étaient de véritables abonnés de la cuisse tarifée.
- Où est-ce qu'on va ? lui demanda Solo.
- Au pont d'Akébé.
Solo démarra et poussa un CD dans le lecteur de musique. C'était du rap français. IAM. Le groupe de Marseille. Il fredonna en tambourinant sur le volant :
«La vie est belle, le destin s'en écarte
Personne ne joue avec les mêmes cartes
Le berceau lève le voile,
Multiples sont les routes qu'il dévoile
Tant pis, on n'est pas né sous la même étoile
Pourquoi fortune et infortune,
Pourquoi suis-je né les poches vides,
Pourquoi les siennes sont-elles pleines de thunes
Pourquoi j'ai vu mon père en cyclo partir travailler
Juste avant le sien en trois pièces gris et BMW"
Yussef le savait. Titot était d'une tétutesse sans égale. Il prenait toujours les choses à la rigolade. Et un de ces jours, ils se feront prendre pour une connerie. Car c'est souvent quand on s'y attend le moins que les ennuis débarquent comme la chiasse.
- Ne vous en prenez pas à moi, les mecs, rouscailla Solo. Vous connaissez le proverbe : "Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus."
C'est Tata qui avait joué les financiers. Et cette nuit encore, c'est Tata qui avait de nouveau mis la main à la poche.
- Tu as tiré combien de coups ? demanda Tata.
- Deux !
Tata partit dans un fou rire. Balard ajouta aussitôt sur un ton rigolard dans le groin de Benito :
- Le premier a été en ton honneur, mon pote. Le second pour moi-même et mes ancêtres.
Tata avait appris toutes les ficelles du parfait dragueur à Balard. Et Balard avait suivi les règles à la lettre. À sa première rencontre avec Nathalie dans la rue, il avait réussi à lui arracher son numéro de téléphone. Puis une semaine plus tard, il l'avait invité au restaurant.
C'est Tata qui avait abordé Nathalie dans la rue un soir et l'avait présentée à Balard. Tata n'avait pas été plus loin que le cours secondaire première année, mais c'était un tchatcheur né quand il s'agissait de verber une fille. Des conquêtes, il en collectionnait comme d'autres, des chaussures de marque. Il avait levé sa première fille à douze ans quand certains malaxaient encore leur bangala avec un morceau de savon dans leur douche devant la photo de Kim Kardashian. Faut dire que la nature l'avait mieux garni que Balard avec son nez camard, son front bombé et sa taille de cocotier qui le faisait souvent passer dans la rue pour un Ouest-africain.
Depuis deux mois, trois enfants avaient déjà été retrouvés morts. On leur avait coupé la langue, le nez, les oreilles, les couilles et le pénis
– J’ai vu ton colis. Si tu es dans le coin, tu peux venir récupérer ton copain Dodo.
– Il sait où me trouver.
– Ça a été un plaisir de faire affaire avec toi, Jimmy.
– Ce n’est pas un plaisir partagé
Solo traversa la rue et enfila un pivot entre deux maisons. Au bout, un portail de tôles rouillées.
Joe, Fred, Jimmy et Dodo étaient assis sur un banc dans la cour de la concession. Lorsqu'ils entendirent le portail s'ouvrir bruyamment, les deux garçons se mirent à cavaler comme des cinglés. Jimmy qui n'avait pas bougé d'un poil les rappela dans un rire fou.
- Qu'est-ce qui vous prend, les mecs ? Ce n'est que Solo et son ombre.
Les gars arrêtèrent leur course et se retournèrent. Et Solo était là. Rigolard, il les observait. Emmailloté dans un survêtement blanc qui lui donnait l'allure d'un ditengu. Il se tordait de rire lui aussi, à s'en faire péter les poumons.