Citations sur Le Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison (25)
Mais soudain la pinède clairsemée des rives de la Harlière surgit du rideau de pluie et la clôture grise du cimetière devant eux. Sanna hurla, cette fois Jalmari était allé trop loin - littéralement- . Pour éviter le crash, l'inspecteur principal tira brusquement le manche, la gouverne de profondeur se releva, la queue de l'appareil s'abaissa tandis que son nez se cabrait. Le Cessna bondit dans les airs comme propulsé par une catapulte. Le cimetière passa sous son ventre, trop vite pour pouvoir lire les inscriptions des croix. L'avion s'élança pleins gaz dans le ciel pluvieux. "On vole" mugit Jalmari Jyllänketo. Quel sentiment grandiose ! Il avait réussi à décoller. Dans un puissant grondement, l'appareil montait en flèche. Sanna pleurait et gémissait morte de peur, insensible au plaisir de prendre de l'altitude. Ailes vibrantes, ils s'enfonçèrent dans les nuages, le monde devint d'un blanc laiteux, le sol disparut. C'était leur premier vol. Il semblait que ce serait aussi leur dernier, car Jalmari Jyllänketo ne savait pas piloter, les conditions météo étaient mauvaises et ils ignoraient où ils allaient. L'inspecteur principal avait lui aussi le visage crayeux. Il était conscient d'avoir fait la plus grosse bêtise de sa vie en accélérant comme un fou sur la piste. Ils étaient dans les airs pour l'instant tout allait bien, mais comment réussiraient-ils à se poser sans casse? Telle était la question. Il lui en vint une autre; "Sanna si on meurt, est-ce que tu m'aimes?
Jyllänketo regarda le paysage qui s'étendait devant lui. De sombres sapinières arctiques encadraient une immense plaine cultivée. Dans le ciel serein voguaient de légers nuages d'altitude. L'air était saturé du chant ininterrompu de milliers d'oiseaux migrateurs. Juin commençait à peine, mais les champs verdoyaient déjà et le vent était chargé d'effluves parfumés. L'inspecteur principal estima la superficie de l'exploitation à plusieurs centaines d'hectares. À l'orée des noirs sapins, deux tracteurs labouraient la terre, laissant sur leur passage des sillons brun foncé d'où montait de la vapeur. Derrière les machines agricoles, une nuée de travailleurs s'affairaient, sûrement à repiquer des plants.
Jyllänketo s'assit sur le perron du bâtiment principal, sortit son ordinateur portable de sa valise, l'alluma et, quand l'écran s'éclaira, se mit à écrire :
« Turtola, mardi 3 juin.
« Je suis arrivé en Laponie ce matin vers onze heures, après avoir passé la nuit à Oulu. Le temps est sec, la température d'environ dix degrés. L'endroit semble paisible. Les gens sont aux champs pour les travaux de printemps. Je n'ai encore parlé à personne d'ici. »
Jalmari Jyllänketo était un homme de terrain, âgé d'une quarantaine d'années. Avec son mètre soixante-dix-huit, ses quatre-vingt-dix kilos et ses cheveux blonds, il avait tout du Finlandais moyen - avantage utile quand il s'agissait de mener de discrètes investigations dans le pays. Pour un policier, il était d'un caractère plutôt accommodant et observait volontiers les gens, les choses et la vie. Il procédait sans états d'âme aux arrestations et prenait même un certain plaisir, proche de l'ivresse de la chasse, à dire « suivez-mo i» aux individus suspectés de haute trahison.
Jyllänketo était venu de Helsinki pour enquêter sur le domaine de l'Étang aux Rennes, où l'on pratiquait la culture biologique d'herbes aromatiques. Au fil des ans, toutes sortes de rumeurs étaient parvenues aux oreilles de la Sécurité nationale. Les dénonciateurs prétendaient que des gens avaient disparu sur les terres de l'exploitation.
Belle bâtisse ! L'inspecteur principal de la Sécurité nationale finlandaise Jalmari Jyllänketo laissa courir son regard sur le fier kolkhoze de l'Étang aux Rennes, construit dans les années cinquante dans le canton lapon de Turtola. Le bâtiment principal, haut de deux étages, long de trente mètres et large de près de quinze, était peint en rouge comme toute Maison du Prolétariat. Les cornières et les encadrements de fenêtre étaient blancs, les portes noires.
La construction se dressait sur une petite éminence sablonneuse plantée de grands pins. La cour, à l'arrière, était entourée de plusieurs autres bâtiments, dont de vastes hangars et une rangée de logements de plain-pied, en partie dissimulée par un bosquet. Un peu à l'écart, un chien de chasse à l'ours au pelage noir aboyait furieusement, perché sur le toit de sa niche rouge. Il sauta de son observatoire et fit mine d'attaquer le visiteur, ne s'arrêtant, l'air féroce, que juste avant d'être étranglé par sa laisse.
:dans ces contrées inhabitées, il fallait se prémunir contre le vandalisme par des méthodes un peu plus énergiques qu'ailleurs. Mieux valait aussi éviter que des ramasseurs de baies inconscients, des éleveurs de rennes curieux ou des chasseurs d'élan ivres ne tombent dans ces puits de plusieurs centaines de mètres de profondeur ou se perdent dans les dizaines de kilomètres de galeries creusées dans la roche.
Jalmari Jyllänketo s'imagina en verre de terre se tortillant tranquillement dans un riche humus, plutôt satisfait de sa vie dans le sein protégé de la terre. Tout va bien, jusqu'à ce que sa chaîne nerveuse ventrale l'avertisse d'un séisme dû à l'approche d'un tracteur et qu'en un rien de temps toutes ses galeries creusées à grand-peine soient balayées par d'énormes vagues de pisse. Choc ammoniacal! Sauve qui peut! A la grâce de Dieu!
L'inspecteur principal avait lui aussi quelques squelettes dans son placard, à quoi bon le nier. Il n'aimait pas y repenser. Dans son enfance, il avait martyrisé le chat de sa grand-mère, qui était mort d'une inflammation de la prostate après qu'il lui avait passé les couilles au goudron. C'était horrible et il le payait maintenant.
La mort vous fonce droit dessus telle une monstrueuse locomotive à vapeur, broyant tout sur son passage, et nul n’échappe à ce cataclysme. L’horaire varie, mais votre dépouille finit immanquablement par être chargée à bord du train des enfers. Avant ce dernier voyage vient cependant la vieillesse, et avant elle la force de l’âge, et le jour où l’on fête ses soixante ans. Plus que quiconque, les hommes devraient à ce stade se résigner à attendre leur tour, s’assagir
et se ranger, mais certains s’y refusent.
La forfaiture économique est un crime terrible qui devrait être aussi sévèrement puni que la haute trahison. Quoi qu'il en soit, un épuisant travail physique, pendant une semaine ou deux, ne peut faire que du bien à ces messieurs (note : on parle ici des financiers finlandais). C'est un rappel bien indulgent des réalités de la vie. Folio - 5408 - p. 259
Généralités. En conclusion, je voudrais souligner qye l'on semble respecter dans le Grand Nord un principe bien établi, et dont la validité a été maintes fois vérifiée en pratique, qui est qu'on ne livre pas publiquement d'informations superflues sur les affaires des gens. Cela vient sans doute de ce que les timides divinités lapones, qui ne savent pas non plus écrire, préfèrent en général se taire et que l'on souhaite éviter que le battement des tambours chamaniques n'atteinge les oreilles de tous les brailleurs imbéciles.