L'homme qui aimait les chiens

Lev Davidovitch se rappela avoir autrefois écrit que l'Histoire avait vaincu Tolstoï sans pour autant le briser. Jusqu'à son dernier jour, ce génie avait su conserver un don précieux : l'indignation morale. C'est pourquoi il avait lancé ce cri contre l'autocratie : " Je ne peux pas me taire ! " Mais Maïakovski, en s'évertuant à être croyant, s'était tu, ce qui avait fini par l'anéantir. Il n'avait pas eu le courage de partir en exil quand d'autres l'avaient fait ; de cesser d'écrire quand d'autres avaient brisé leurs plumes. Il s'obstina à offrir sa poésie à l'engagement politique et sacrifia son Art et même son esprit : il s'efforça tellement d'être un militant exemplaire qu'il dut se suicider pour redevenir le poéte qu'il était...

Au cours des mois qui avaient précédé son expulsion, Lev Davidovitch, les mains liées par sa défaite politique, avait alors commencé à évaluer sérieusement, et non sans effroi, l'ampleur de l'habileté manipulatrice de Staline. Incapable de percevoir le génie de l'intrigue, l'impudence de ses tractations, il comprenait trop tard qu'il avait sous-estimé l'intelligence de l'ex-séminariste géorgien. Staline, élevé dans les catacombes des luttes clandestines, avait appris toutes les modalités de la destruction souterraine, et il s'en servait désormais pour son profit personnel , dans le même but que le parti bolchevik avant lui : s'emparer du pouvoir.

[... l'homme est interchangeable, remplaçable. L'individu n'est pas un élément unique, c'est un concept qui s'agglutine pour former la masse, qui, elle, est réelle. Mais l'homme en tant qu'individu n'est pas sacré, et donc pas indispensable.

Tout ce qui m'intéressait à ce moment-là, c'était le plaisir de voir arriver le crépuscule, ce cadeau de l'instant fabuleux où le soleil s'approche de la mer argentée du golfe et dessine un sillage de feu à sa surface.

D'Espagne en revanche ne lui parvenaient que les râles douloureux de la guerre(...)On parlait de centaines de milliers de réfugiés, affamés et sans ressources qui débordaient largement les capacités logistiques des forces de l'ordre et la capacité d'accueil des Français(...) C'était un peuple lancé dans un exode aux dimensions bibliques, mû par la seule volonté de survivre, des êtres lestés de frustrations accumulées qui avaient tout perdu, et on pouvait le lire dans leurs yeux où même la dignité semblait perdue.

Lev Davidovitch [Trotski] regretta comme jamais le manque de réalisme et la confiance excessive qui l'avaient aveuglé durant des années, au point de laisser naître et grandir sous ses yeux cette tumeur maligne accrochée aux murailles du Kremlin, appelée Joseph Staline.

[...] j'appris que la véritable grandeur humaine réside dans la pratique de la bonté sans conditions, dans la capacité de donner à ceux qui n'ont rien, non pas le superflu mais une partie du peu que nous avons. Donner à en avoir mal, ne pas faire de politique ni prétendre par cet acte à une quelconque prééminence, et encore moins pratiquer la trompeuse philosophie qui consiste à obliger les autres à accepter nos conceptions du bien et de la vérité parce qu'elles sont (croyons-nous) les seules possibles et parce que, de plus, ils doivent nous être reconnaissants de ce que nous leur avons donné même s'ils n'ont rien demandé.

Tout jeune, il pensait déjà que l'humiliation est la pire façon d'agresser la condition humaine car elle désarme l'individu en l'atteignant au plus profond de sa dignité.

Un individu et un nom ne sont rien... Tu sais, dès que je suis entré dans la Tcheka, on m'a appris quelque chose de très important : l'homme est interchangeable, remplaçable. L'individu n'est pas un élément unique, c'est un concept qui s'agglutine pour former la masse, qui, elle, est réelle. Mais l'homme en tant qu'individu n'est pas sacré, et donc pas indispensable.

Tu connais la meilleur façon de chasser le lion?
Tu attrapes un lapin, tu lui fous des baffes, tu le menaces de massacrer sa progéniture, il finira par avouer qu'il est un lion.