Personne ne pipait mot, Saint-Simon glissa plus tard à l'oreille du Régent que l'on aurait entendu un citron marcher si l'idée aussi saugrenue était venue à ce fruit acide.
Il n'existait que pour son seul regard ; qu'elle le détourne et il disparait à l'instant du monde.
Dans les derniers mois du plus long règne français, le Soleil se couchait inexorablement à Versailles mais l'aube courait s'ébrouer à Sceaux.
Le feu de la politique était en train de prendre une nouvelle fois aux perruques des magistrats et aux rabots des Jésuites.
Philippe d'Orléans ne laissa rien paraître de son soulagement car, en réalité, il craignait bien davantage la fronde du Parlement que les mouvements de deux malheureux princes, marionnettes de deux femmes ivres de pouvoir, la vieille guenipe de Saint-Cyr qui les avait toujours couvés de ses jupes de fausse prude et la folle naine de Sceaux, prête à mettre le feu aux quatre coins du royaume pour effacer la tache originelle d'un mauvais mariage.
Il restait bien la Bretagne, qui grondait sous le poids des impôts et rêvait toujours aux libertés du temps de la duchesse Anne, mais pouvait-on faire confiance à des hobereaux qui buvaient une sorte de pisse de cheval à l'odeur de pomme et parlaient une langue invraisemblable ?
Si Philippe se "foutait pas mal du Parlement" - c'est le mot qu'il avait lancé à la tête de son président, grand échalas onctueux, juché sur les sommets de sa suffisance -, il craignait bien davantage l'esprit public. De simples sujets se saisissaient désormais des affaires de l'Etat pour en discuter tout à leur guise au lieu de conserver le silence respectueux qui convient à tout ce qui touche à l'Etat.
Cet Ecossais, condamné à mort dans son propre pays, répondait au nom de John Law, parfaitement imprononçable en France. Il était parvenu à convaincre le Régent que seule une révolution monétaire sauverait ses finances. Le duc d'Orléans n'avait rien contre la magie, bien au contraire, et il s'était lui-même essayé à l'alchimie ; aussi convertir de l'or en papier pour faire de l'argent lui parut-il une idée tout à fait formidable. Lui, qui se plaisait aux calculs arithmétiques, se laissa tenter par cette rêverie de boulier. La banque fut portée sur les fonts baptismaux séance tenante par un prince alchimiste et un aventurier protestant, mais c'était sans compter encore sans les résistances des parlements : ceux-là n'aimaient pas la magie, surtout lorsqu'elle jouait avec les cordons de leurs bourses.
Pourtant, cette fois, il fallait se rendre à l'évidence : la révolte enflammait les têtes et gagnait maintenant la province qui s'agitait. Les Bretons poussaient même la hardiesse jusqu'à refuser l'impôt au roi sous le prétexte gothique de leurs anciennes libertés. Tout cela n'avait pas plus de raison qu'un roman de chevalerie, mais un ramassis de gentillâtres, culs-terreux enivrés de noblesse et bercés par les chimères de leurs généalogistes, menaçaient de s'en prendre au maréchal de Montesquiou en personne.
Certes, au lendemain de la mort de son oncle, il était parvenu à séduire les princes et les grands en leur proposant de partager le pouvoir par le jeu de ces innombrables conseils de gouvernement dans les méandres desquels lui-même finissait par se perdre, et où leur sottise, qui avait pourtant fait merveille, n'arrivait même plus à le divertir. Aux magistrats du parlement de Paris réduits par le vieux Roi-Soleil à une telle servilité qu'ils n'étaient plus que des laquais à cols fourrés d'hermine, il avait rendu le droit de remontrance et un semblant de dignité, mais aujourd'hui tous ces messieurs prétendaient partager avec lui l'autorité souveraine dont il était, jusqu'à la majorité du petit roi, le seul dépositaire.