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Il suffit d’un instant de paix pour révéler,
au fond du cœur, l’angoisse
limpide comme le fond de la mer
par un jour de soleil. Tu en reconnais,
sans la ressentir, la souffrance
là, dans ton lit, poitrine, cuisses
et pieds relâchés, tel
un crucifié (…)
Le jour est désormais sur toi,
dans la pièce, comme un lion dormant.
Mais moi avec le cœur conscient
de ceux qui n'ont de vie que dans l'histoire
pourrai-je jamais œuvrer avec une passion pure
si je sais que notre histoire est finie ?
.
LES PLEURS DE L’EXCAVATRICE, II
Pauvre comme un chat du Colisée,
je vivais dans une bourgade faite de chaux
et de nuées de poussière, loin de la ville
et de la campagne, coincé tous les jours
dans un autobus branlant:
et chaque aller, chaque retour,
était un calvaire de sueur et d’angoisse.
De longues marches dans une chaude brume,
de longs crépuscules devant les feuillets
entassés sur la table, et les chemins de boue,
les murettes, les masures enduites de chaux
avec leurs murs nus, et des rideaux en guise de porte…
Le marchand d’olives, le fripier passaient,
venus de quelque autre bourgade,
avec leur marchandise poussiéreuse qui semblait
être le fruit d’un vol, et l’allure cruelle
de jeunes gens vieillis parmi les vices
comme ceux dont la mère est âpre et a faim (…)
Fantassut al rit il Seil (Poesie a Casarsa, 1941/1943)