Historien spécialiste de la symbolique occidentale,
Michel Pastoureau, après avoir étudié les
couleurs, se penche maintenant sur l'histoire des rapports entre l'homme et l'animal.
C'est
le corbeau qui fait ici l'objet de sa recherche, méthodique, très documentée (textes et iconographie), mais plaisante à lire.
Oiseau vénéré par de nombreuses sociétés anciennes (Celtes, Slaves, Germains), admiré par les Romains, messager des dieux dans les mythologies, il descend de son piédestal dès l'avènement du christianisme.
Celui-ci se fonde sur un épisode de la Genèse, le Déluge, où
le corbeau, envoyé en mission par
Noé pour voir si les eaux ont commencé à baisser, s'attarde à dévorer des charognes au lieu de rapporter la bonne nouvelle. Contrairement à la colombe qui revient avec un rameau d'olivier dans son bec. Il y a bien un autre épisode biblique qui aurait pu redorer le blason du corbeau, celui du livre des Psaumes où le prophète Elie, retiré dans le désert, est nourri tous les jours par des corbeaux, mais il n'a pas été retenu par les Pères de l'Église et les théologiens, qui vont faire du corbeau une créature du Diable.
Car
le corbeau était l'objet de tant de cultes païens que l'Église a jugé indispensable de partir en guerre contre cet oiseau, bien trop noir par ailleurs.
le corbeau se dévalorise en même temps que se diffuse le christianisme en Europe. Ainsi, les bestiaires médiévaux parent
le corbeau de tous les vices : glouton, sacrilège, hypocrite, voleur, orgueilleux… Les fables lui sont aussi hostiles, telles celle du corbeau et du renard, peu valorisante pour l'oiseau, déjà représentée sur la « tapisserie » de Bayeux, au XIème siècle.
Les ouvrages scientifiques, traités de naturalistes, de zoologistes, encyclopédies, répètent au fil des siècles les a priori négatifs sur
le corbeau, même s'ils commencent à se fonder un peu plus sur l'observation. le savoir ne progresse que lentement en ornithologie. Au XVIIIème siècle, l'Encyclopédie comprend une notice purement ornithologique sur
le corbeau, rédigée par Daubenton ; mais l'Histoire naturelle de Buffon, parue à la même époque , dresse un portrait haineux et avilissant du corbeau. Or, cet auteur a été lu et admiré jusqu'à la fin du XIXème siècle et va exercer une influence considérable sur les croyances et les comportements, dans les campagnes européennes, jusqu'à une époque récente.
On reconnaît pourtant aujourd'hui l'intelligence de cet oiseau, qui n'a rien à envier aux chimpanzés ou aux bonobos ; sa fonction cognitive visuelle, sa mémoire, sa capacité d'adaptation, de résolution de tâches complexes font de lui un des animaux les plus intéressants à étudier.