N'oubliez pas que nous emmenons ces femmes en Guyane essentiellement pour qu'elles épousent des bagnards, créent des familles et peuplent la colonie. Ébruiter cette affaire ne serait pas une bonne idée. On n'a déjà pas assez de femmes pour tous les hommes, alors si en plus elles restent célibataires, notre mission tombe à l'eau.
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Marie fixait ce chapelet de figures décorées comme pour Carnaval avec des yeux pleins de terreur. Elles étaient toutes rongées d'une vieillesse précoce qui faisait son inexorable ravage, et il était impossible de retrouver dans ces faces éteintes et couvertes de mauvais fards les visages des jeunes filles qui, un an plus tôt, avaient embarqué sous le soleil de France.
En les regardant, Marie ne voyait que des crânes nus, des orbites vides. Elle voyait la mort.
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Le pénitencier de Saint-Laurent est une guillotine.
La relève était là, amis pour combien de temps encore ? A l'âge où l'on regarde les jeunes filles plus que jamais, quel autre jeune homme serait assez inconscient pour venir dans cet enfer soigner les bagnards, et risquer d'y laisser sa peau ?
La femme a une grande capacité d'abnégation, elle est mère avant tout. Dans l'homme qui a déchu elle sait voir l'enfant plein de promesses qu'il a été. Et forte de son amour elle le sauve. Elle le guide et l'accompagne.
Alors il mesura à son tour toute l'ingratitude de l’administration q'il avait largement couverte pour ses multiples manquements, et il s'en alla en les maudissant, et en maudissant Dieu et ces religieuses qui font des prières par-devant et mal par-derrière et qui en veulent aux hommes parce qu'aucun n'a voulu d'elles.
Mais bon sans, ça ne vous fait rien à vous ce qui se passe? Ces femmes ne reviendront pas, vous le savez tout de même, non? Vous êtes jeune, mais dans votre pénitentiaire tout le monde le sait, c'est un secret de polichinelle. On les envoie à l'abattage. C'est de la chair fraîche pour les bagnards
Il m'écrit que le dernier convoi vient de lui livrer deux mortes, et il a même constaté des viols ! Les femmes étaient dans un état épouvantable. Mais une fois encore, il ne faut rien dire. ça nuirait au recrutement ! Le gouvernement Montravel a bien joué, pendant des années il fait une propagande du diable, vanté les beaux mariages de la Guyane et les pauvres filles y ont cru. Tu parles ! Si elles savaient ! Un convoi remplace l'autre et rien ne change. Elles partent au casse-pipe, ça ne finira jamais.
- Tu pleures ? Et tu crois que ça va t'aider? Qu'on va te plaindre ?
On ne voulait d'elles ni sur terre, ni sur le navire. On ne voulait d'elles nulle part. La violence des échanges qui venaient d'avoir lieu les avaient glacées et elles remontaient les unes derrière les autres, trempées, dociles maintenant.