En ces temps d'épidémie et de disette culturelle, les héros sont bien entendu vêtus de blanc, mais je ne suis pas loin de penser que les libraires sont aussi et à leur manière, sans blouse blanche, des braves; des paladins qui tentent tant bien que mal de survivre et de nous nourrir et d'étancher notre soif.
Le second volume de "L'Age d'or", la grandiose épopée signée Pedrosa et
Roxanne Moreil, est sorti hier. Foutu timing.
Mais mes libraires sont des héros qui pourfendent la concurrence des grands groupes à grands coups de courage, d'intelligence et de disponibilité (et de click and connect).
Grâce à eux, hier midi, j'étais en possession du livre tant attendu et dévoré dans la foulée.
Ce second volume est pour commencer aussi beau que le premier, sublime. Je pourrais en admirer le graphisme sans m'en lasser des heures durant. L'intensité des couleurs, la minutie des illustrations, la singularité des traits. Cette impression générale qui s'en dégage d'être face à un mariage saisissant: l'Age d'Or célèbre les épousailles de l'enluminure et du psychédélisme. Des très riches heures du Duc de Berry avec celles de
Rick Griffin. Fantasmagorique.
Quant à l'intrigue, abandonnée à son paroxysme à l'issue du premier tome, elle trouve ici son achèvement, un final cohérent et intense, puissant même et en parfaite adéquation avec le reste de l'histoire. Les questions trouvent enfin leurs réponses, les personnages accomplissent leur destin et se trouvent eux-mêmes au terme de cette ambitieuse épopée.
Cette fin, si vous saviez!.. Cette fin!
Pourtant et malgré le plaisir évident que j'ai pris à ma lecture, malgré toutes les inestimables qualités de l'ouvrage, je ne peux me défendre d'une petite pointe de frustration: elle arrive trop vite cette fin, comme précipitée.
Mais peut-être est-ce parce que j'avais mis en elle trop d'impatiences, trop d'attentes?
Il n'en demeure pas moins que je suis conquise et que je donne ma reddition bien volontiers, que je suis et demeure une adepte de cet Age d'Or. C'est dit.
Qu'en-est-il de l'intrigue? Et où en sont nos personnages à l'orée de ce dernier acte?
Des mois (ou en tout cas pas mal de temps) semblent avoir passé depuis la fin du premier volume et le royaume est en guerre. Tilda assiège le château de son frère pour reconquérir son trône. Elle est toujours assistée du fidèle Tankred mais elle n'est plus elle-même. Peut-être parce que ce qu'elle a découvert là-bas l'a transformée, peut-être parce que Bertil manque à l'appel? le jeune homme, fatigué du monde qui l'entourait, a en effet rejoint le camp de Hellier et des rebelles qui remontent depuis la Péninsule, riches de leur rêve d'un monde meilleur et juste. Une utopie? Peut-être, mais c'est ce que promet le livre mystérieux que ne parvient à lire que Petit Paul, ce serf simplet et profondément touchant qui parvient même à adoucir la rudesse de ses compagnons que j'ai été heureuse de retrouver: Poudevigne et Languille.
Le monde dépeint dans l'ouvrage est un monde en pleine mutation et cela ne peut sans faire sans perte ni sans douleur ou cruauté. Les flammes ravagent le royaume et, à leurs manières diverses, les personnages qui ne peuvent ressortir de cette aventure que bouleversés, marqués. Jusqu'à quel point?
"L'Age d'Or" est une flamboyante épopée mâtinée de fantasy, envoûtante, mais c'est encore et toujours une réflexion profonde et parfois angoissante sur le monde et le pouvoir, une fable sociale, un manifeste pour une société plus équitable et le prix qu'il peut en coûter dont l'achèvement est une pure réussite qui mérite qu'on rende hommage à
Cyril Pedrosa et
Roxanne Moreil.
Et aux libraires qui nous permettent de tenir ce bijou entre nos mains.