« Si je vous disais que dans Tintin j’ai mis toute ma vie » me disait Hergé quelques semaines avant sa mort. Il ne s’agissait pas d’une simple formule. Les aventures de Tintin peuvent-être lues comme une autobiographie indirecte, ou plus exactement comme une sorte de journal à travers lequel se donnent à lire tous les évènements, publics ou privés qui marquèrent Georges Remi, dit Hergé. Mais dans ce singulier roman de formation, c’est surtout le personnage qui a construit son auteur. »
Au fil des ans, je n’ai cessé de retrouver Hergé : j’ai lu des dizaines de livres et de manuscrits à son propos, préfacé de nombreux volumes, parlé de lui plus souvent qu’à mon tour. L’exposition Hergé dessinateur, réalisée en 1989 avec Pierre Sterckx, est peut-être mon souvenir le plus fort. Nous nous penchions longuement sur les planches originales, aussi émerveillés que les spectateurs qui allaient bientôt les découvrir dans la pénombre et le silence des musées de Bruxelles, d’Angoulême, de Paris et de Londres. Mon regard sur Hergé avait changé : son travail continuait de me parler, mais chaque fois différemment. Devenu scénariste de bande dessinée, j’appréciais de plus en plus l’intelligence de ses récits, l’audace de ses ellipses, l’habileté de ses découpages.
À la fin des années trente, l’absence de couleur dans Les Aventures de Tintin avait fait manquer de nombreuses ventes en France et en Suisse : la concurrence pénalisait le noir et blanc et l’ajout des hors-texte coloriés ne suffisait pas à remédier au problème. Dès les premiers mois de l’Occupation, Casterman devient plus insistant : à cause des problèmes d’approvisionnement en papier, l’éditeur aimerait profiter du passage à la quadrichromie pour diminuer fortement le nombre de pages.
Si Hergé ignorait la « solution finale » lorsqu’il dessinait L’Étoile mystérieuse, il ne pouvait, en revanche, pas manquer de connaître les mesures antisémites promulguées à cette époque. Le Soir ne se contentait pas d’en informer ses lecteurs ; il appuyait ces persécutions et travaillait à les légitimer. On ressortait des placards de vieux textes du Belge Edmond Picard et du Français Gobineau.