Citations sur La petite Chartreuse (97)
Se rendent-ils seulement compte, ceux qui ont vraiment des enfants, de ce banal miracle du renouvellement du monde ? Se rendent-ils compte de cette énergie de l'enfance ? Eprouvent-ils la force de ce oui discret, étonné, joueur, qui permet qu'une suite ait lieu, de ce oui qui flotte sur le pire comme la brindille d'une chance nouvelle ?
« Elle sait qu’on ne peut pas laisser à l’abandon une fillette qui n’a au monde que sa maman. Elle fait ce qu’elle peut pour se convaincre qu’elle est la mère d’une petite fille nommée Eva, il y a dix ans.
J'ai cherché partout le bonheur, mais je ne l'ai trouvé nulle part, sinon dans un petit coin, avec un petit livre.
Tout peut avoir lieu, donc le pire. Car il rôde lui aussi dans la meute des possibles. La hyène du pire trottine au hasard dans la banalité.
Classant une fois de plus mes livres, je me dis qu'après tout, moi aussi, j'aurais bien aimé devenir libraire, passer le plus clair de mon temps dans la compagnie des écrivains. Les découvrir, les faire lire, les aider à se vendre, favoriser cette prostitution splendide, m'entremettre pour cette marchandise-là. Trafiquant de drogue littéraire.
Dans les dernières années du XXème, et les premières années du siècle suivant, on prophétisait en ricanant que ce genre de lieu n’en avait plus pour longtemps. Fini les petites librairies ! Moribond, ce type de commerce… C’est surtout au papier qu’on en voulait, et à l’encre. L’encre des stylos comme l’encre d’imprimerie : une vieillerie salissante. Mais on en voulait aussi à ces petits réservoirs de pensées, de vision, de paroles qui se déploient, de page en page, tout en demeurant extraordinairement compacts, bien fermés sur eux-mêmes, prêts à être cachés dans une poche, emportés en voyage, et ouverts n’importe où, n’importe quand. Parcourus. Dévorés. Feuilletés. Sans électricité. Sans écrans. « Devine où je suis en train de lire les Stances d’Agrippa d’Aubigné, ou le Traité de la réforme de l’entendement ! » Dans un train. Le creux d’un rocher au bord de la mer. Dans mon lit. Dans une foule. Dans des chiottes. Un bain moussant. A la lumière d’une lampe frontale au pied d’une dune, en plein vent.
Les jeunes gens étaient des amoureux de l'instant, des amis du réel. Leurs corps étaient immédiatement à leur place dans le monde, immédiatement accordés aux autres corps.
"Qu'ont-ils eux, que je n'ai pas ? Pourquoi veulent-ils sauter ? Vivre comme ils sautent ? Respirer, se parler, regarder les choses avec cette légèreté ?" p.155 Folio
C'était un matin d'automne, quelques semaines après la rentrée scolaire. Je devais avoir à la fois sommeil et mal au cœur, et tout ce que pouvait expliquer le professeur de mathématiques, un grand homme maigre au crâne luisant qui bourrait de craies de toutes les couleurs les poches de sa blouse grise, ne troublait pas ma somnolence discrète, dans cette chaleur odorante qui, succédant au froid vif des rues, me permettait de prolonger un peu ma nuit.
A quatre heures et demis, dans chaque quartier de chaque ville, les enfants sortent des écoles primaires. Ils appellent cette instant "l'heure des mamans". Entre les façades des longues rues grises, encore plongées dans la torpeur quelques minutes plus tôt, monte une rumeur très gaie, trouée d'appels enfantins. [...] Le troupeau maternel accueille tous ces petits aux ailes étroites et trop lourdes qui entrechoquent dans la bousculade.
Immenses, empressées, les mères se penchent vers leurs enfants qui lèvent le museau, tendent leurs joues lissent, et clament tous en même temps des choses confuses en brandissant des objets confectionnés avec du carton, du tissu, du plâtre. Les puissants tentacules maternels soulagent les épaules de leur charge, mettent à l’abri les précieux objets et brutalement c'est la dispersion. [...] Vrombissement des démarrages. Rapide expansion familiale. (p.12 Folio)