Après l'essai penser/classer, je continue ma découverte de Perec avec ce classique dans lequel alternent deux textes, l'un descriptif, l'autre narratif, et apparemment sans lien. La partie autobiographique est une succession d'informations que j'ai trouvée tristement neutre et sans émotions. Juif d'origine polonaise, enfant quand la Seconde Guerre mondiale éclate, Perec évoque quelques faits intéressants, comme le changement de patronyme de sa famille. Cependant ses souvenirs restent succincts et surtout très confus : le texte regorge tellement d'approximations (« Il me semble... » , « Je crois me rappeler... »), d'événements contredits (« En fait... ») et d'incertitudes (« Ces détails sont donnés complètement au hasard ») que j'en suis venue à douter de la véracité (et de l'intérêt) des propos (« Il y eut la Libération, je n'en ai gardé aucune image »). On sait que l'exercice est difficile (« Il me semble que je ne parviendrai qu'à un ressassement sans issue »), mais il se prête justement à la réflexion et à l'analyse, notamment sur la perception d'enfant, le temps et la mémoire qui déforment la réalité - plutôt que ce texte fade sans but réel, du moins évident.
La première partie du récit de fiction m'a bien plu : il y a un côté suspense sympathique (que veut le mystérieux Otto Apfelstahl à Gaspard Winckler ?). Et un premier lien avec l'autobiographie : la figure centrale du premier roman de Perec porte le même nom que le narrateur.
Avec l'histoire de l'homonyme naufragé, on tombe ensuite dans le rocambolesque. Mais quand démarre l'interminable description du fonctionnement olympique de l'île
De W, j'ai carrément décroché. J'ai attendu en vain un héros et une intrigue : il n'y en a pas. Et surtout, quel rapport avec l'épisode précédent ?
Même si j'ai fini par lire la partie fictive en diagonale, certains éléments m'ont interpelée : « exacerber la compétition », « exalter la victoire » puis « inégalités de traitements réservés aux vainqueurs et aux vaincus »… La société
De W semble aussi codifiée, hiérarchique et discriminatoire que l'Allemagne nazie en arrière-plan de la partie autobiographique, bien que jamais évoquée. Au fil des chapitres, cette impression s'amplifie : tel un Juif, l'athlète « croit à son Étoile », porte une tenue rayée, et le quotidien dans les villages olympiques est fait de « corvées », de « rations « et de « paillasses ». La toute fin le confirme clairement : ce que décrit Perec, ce sont bien les « camps de déportation ».
Ainsi c'est par la fiction qu'est abordée
L Histoire, puisque les souvenirs sont si défaillants. Au bout du compte, où se trouve la vérité, ou tout au moins la réalité la plus exacte ? Dans l'autobiographie ou bien dans le récit ? Sûrement un mélange des deux… En tout cas, une chose est sûre :
Georges Perec s'amuse avec l'écriture, et avec son lecteur.